Abus sur mineurs, harcèlement de rue... l'Assemblée a entamé lundi soir un débat sensible sur le projet de loi visant à renforcer la répression des violences sexistes et sexuelles, loin de faire l'unanimité vu des inquiétudes sur la protection des mineurs. Très attendu après l'affaire Weinstein et #Metoo, le gouvernement entend combler les "angles morts" de la législation. Un travail de taille quand on sait qu'au court de sa vie, une femme sur sept subit une violence sexuelle, selon des données avancées par la rapporteure Alexandra Louis (LREM). Quelque 270 amendements sont au menu jusqu'à mardi soir en première lecture. Europe 1 vous résume ce que contient ce projet de loi qui s'articule autour de quatre articles principaux.
Le délai de prescription des crimes sexuels passe de 20 à 30 ans
Le premier article qui modifie la durée du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs fait relativement consensus. Il prévoit entre autres, comme s'y était engagé le candidat Macron, son allongement à 30 ans après la majorité de la victime (contre 20 ans actuellement), jusqu'à l'âge de 48 ans donc.
Cette mesure fait suite à plusieurs faits divers, et notamment à la révélation par Flavie Flament d’un viol subi à l’âge de 13 ans. Lorsqu'elle a voulu porter plainte à 42 ans, il était trop tard.
Laurence Vichnievsky (MoDem), ex-magistrate, a quand même tenté de le faire supprimer, car "les preuves matérielles disparaissent et les témoignages sont de moins en moins fiables" et selon elle, il "ne protégera pas nos enfants", appelant à éviter un "néo puritanisme". Outre la "cohérence" avec d'autres délais dérogatoires, ministre et rapporteure ont invoqué l'"amnésie traumatique" et la volonté de "donner aux victimes le temps nécessaire de judiciariser les violences". Des associations demandaient cependant l'imprescriptibilité, réservé dans le droit français seulement aux crimes contre l'humanité.
L'âge du consentement sexuel fixé à 15 ans
L'article 2 sur "la répression des infractions sexuelles sur les mineurs" cristallise quant à lui les critiques. Il était très attendu par les associations après deux récentes affaires, où des fillettes de 11 ans avaient été considérées comme consentantes par la justice. L'article a été réécrit pour éviter d'être jugé inconstitutionnel en conservant sa "philosophie" initiale, selon le gouvernement.
Une première version de ce texte prévoyait en effet que tout acte sexuel commis sur un mineur de moins de 15 ans par un majeur constituait un "viol", si ce dernier "connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime". Or, le Conseil d'État a estimé que cette formulation portait atteinte à la présomption d'innocence. La seconde version du texte prévoit donc désormais que la contrainte morale ou la surprise, constitutives de la notion de viol en France, doivent être caractérisées "par l'abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes".
En clair, si le viol n'est pas établi, une pénétration sur un mineur par un majeur pourra être requalifiée en "atteinte sexuelle", le texte prévoyant d'alourdir les peines pour ce type de délit, de cinq à dix ans d'emprisonnement, contre 20 ans pour un viol.
Les associations de protection de l'enfance y ont vu "une marche arrière". Près de 250 personnes, dont l'ex-ministre Yvette Roudy ou l'actrice Karin Viard, ont appelé lundi à "retirer" cet article. "La rédaction intermédiaire est un net recul", a dénoncé mardi, au micro d'Europe 1, Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol. "L'article 2 créé un délit d'atteinte sexuelle avec pénétration. C'est-à-dire que ce qui caractérise un viol passe en délit", pointe cette signataire de la pétition "#LeViolestUnCrime : retirez l'article 2 !". "La formulation actuelle est une erreur - ça va s'arranger, j'espère -, mais elle laisse penser que l'on peut pénétrer une petite fille ou un petit garçon avant 12 ans […], et que ça puisse être un abus d'ignorance de l'enfant. C'est insupportable", s'est-elle aussi indigné.
Au contraire, "les poursuite de viols seront facilitées en précisant les notions de contrainte morale et de surprise (...) C'est uniquement quand la qualification de viol ne pourra pas être retenue" que s'appliquera la peine aggravée d'atteinte sexuelle avec pénétration, a défendu la ministre de la Justice Nicole Belloubet.
Le harcèlement dans l'espace public puni d'une amende
Le projet de loi instaure par ailleurs l'infraction d'"outrage sexiste", définie comme le fait d'"imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui, soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante".
Le harcèlement dans l'espace public devra être constaté en flagrant délit et sera sanctionné d'une amende de 4ème classe (allant de 90 à 750 euros). Une amende de 5ème classe (jusqu'à 3.000 euros) sera possible en cas de circonstances aggravantes, par exemple s'il est fait sur une personne vulnérable ou dans les transports collectifs ou en cas de récidive. L’amende sera en outre accompagnée d’un "stage contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles", avait précisé la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa sur Europe 1 en mars dernier. Très critiquée car jugée difficile à appliquer, cette mesure aura avant tout une valeur "pédagogique", a-t-elle défendu.
Le cyber-harcèlement en groupe pénalisé
Aujourd'hui, le harcèlement en ligne est puni de deux ans de prison et de 30.000 euros d'amende. Le projet de loi innove en proposant de pénaliser cette action quand elle est commise "de manière concertée par plusieurs personnes", et alors même que "chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée". Femmes et adolescents sont particulièrement victimes du harcèlement en meute et peuvent ainsi recevoir des centaines voire des milliers de messages haineux ou humiliants de la part de plusieurs internautes.
Cette loi "facilitera les plaintes des victimes des raids numériques qui, parce qu’ils sont impunis, contribuent à la perception d’Internet comme une zone de non-droit. Nous voulons envoyer un message extrêmement clair aux harceleurs en ligne : la République ne tolère pas ces agissements, ces actes ne pourront plus rester impunis", a insisté mercredi dernier Marlène Schiappa devant la commission des lois de l'Assemblée, rapporte Le Monde. Et l'ampleur de la participation des cyberharceleurs ne sera pas retenue dans le cadre d'un jugement : "quelques tweets ou quelques messages sur des forums" suffiront pour être condamné, a prévenu la secrétaire d'Etat dans une interview à Buzzfeed en mars dernier.