Sa décision avait constitué un véritable séisme dans le monde de l'édition : Antoine Gallimard, patron du groupe éponyme, a annoncé mardi qu'il cessait la commercialisation du journal de l'écrivain Gabriel Matzneff, écrits que la maison d'édition publiait depuis trente ans. Un choix qui fait notamment suite au livre-témoignage de Vanessa Springora, Le Consentement, dans lequel elle décrit l'emprise de l'écrivain sur elle, et qui est un succès en librairie. Dans les colonnes du Journal du Dimanche, Antoine Gallimard s'explique sur cette décision et l'affaire dans son ensemble.
"La réponse la plus adéquate"
Se revendiquant "contre toutes les formes de censure", Antoine Gallimard dit avoir été "très touché par la lecture du livre de Vanessa Springora" : "Elle m'a fait prendre la mesure des effets dévastateurs de la manipulation d’un adulte sur une toute jeune fille. Dans le Journal de Gabriel Matzneff, il y avait une part manquante : la victime. J’ai pensé un moment apposer un blister sur ces ouvrages, comme je l’avais fait pour Rose bonbon, de Nicolas Jones-Gorlin, mais l'arrêt de la commercialisation est apparu comme la réponse la plus adéquate."
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Dans le même temps, Antoine Gallimard tente de protéger sa maison d'édition, dénonçant au passage un acharnement envers ceux qui ont collaboré avec l'écrivain, aujourd'hui visé par une enquête pour viol sur mineur. "Les gens sont souvent avides de sang. La chasse à l’homme, la chasse aux amis de l’homme… J’y suis sensible et j’en ressens un malaise. On n’aura la tête de personne chez Gallimard", défend son patron. Il récuse également la visite de la police dans les locaux des éditions Gallimard, comme l'affirmait Le Parisien : "Il n'y a jamais eu de descente de police dans la maison. On nous a demandé par écrit que l'on adresse à l'OCRVP (Office central pour la répression des violences aux personnes) un exemplaire de chaque volume du Journal de Gabriel Matzneff."
"J’assume les choix de ma maison"
"Ce n’est ni une maison ni un milieu qui est ici en cause, mais bien le fonctionnement d’une société tout entière, dont nous sommes. Qu’est-ce qui a fait que cette parole transgressive n’ait pas provoqué plus de réactions auprès des institutions et des familles ?", interroge-t-il dans les colonnes du journal. "J’assume les choix de ma maison. Mais un catalogue n’est ni une autoroute ni une cathédrale. Ce n’est ni un chef-d’œuvre ni un aboutissement. Certaines œuvres sont pérennes, d’autres non."
Antoine Gallimard refuse par ailleurs de cesser la commercialisation d'ouvrages d'autres auteurs dont les livres, les opinions ou les actes ont choqué ou constitué des délits en leur temps, comme Sade, Louis-Ferdinand Céline ou Jean-Jacques Pauvert. "Il y a une nécessité à rendre compte, en art et en littérature, des expériences limites, même si elles vont à l’encontre du cadre normatif que se donne la société. Mais il faut que la société de droit dans le même temps joue son rôle, en fixant les bornes – lesquelles, précisément, donnent sens à ces transgressions", nuance-t-il.