En décernant le prix Nobel 2018 de littérature à l'auteure polonaise Olga Tokarczuk, pour son roman Les livres de Jakob, l'Académie suédoise est venue récompenser un travail acharné, précis, quasi obsessionnel. Au micro de Nicolas Carreau, la lauréate de 57 ans a raconté son rapport à la littérature et à son prix, décerné avec un report d'un an après le scandale qui avait éclaboussé l'Institution.
"J'ai l'impression que ma vie va changer"
La consécration a d'abord eu le goût de l'"incrédulité" pour Olga Tokarczuk. Puis ce fut une "joie énorme". "J’ai l’impression que ma vie va changer maintenant. Sans doute, va-t-on beaucoup plus lire mes livres. Et peut-être aussi que j’aurais beaucoup plus d’obligations", étaye l'écrivaine couronnée au micro d'Europe 1.
Toutefois, son roman, paru en Pologne en 2014, puis à l'international en 2018, avait déjà conquis la critique et les lecteurs. L'ouvrage - odyssée de plus de 1.000 pages - raconte l’histoire de Jakob Frank, personnage historique qui a traversé l’Europe des Lumières de manière stupéfiante et sulfureuse, en tant que nouveau messie, converti à l’islam puis au catholicisme, entraînant ses disciples dans une sorte de secte. Olga Tokarczuk retrace - en même temps que la vie de son personnage - l’histoire de la Pologne juive, du mode de vie de l’époque, le quotidien des gens, allant des petites beautés aux aspects misérables. Le tout avec habileté et une méthode des plus rigoureuses.
Le jury du Nobel a d’ailleurs souligné cet aspect, louant sa "passion encyclopédique". "Je pense qu’un lecteur attentif peut voir dans mes livres à quel point je me prépare", ajoute l'écrivaine. Pour Les Pérégrins par exemple (roman paru en Pologne en 2007), j’ai passé beaucoup de temps à étudier l’anatomie." Mais cette minutie, ce souci de retranscrire la réalité a été encore plus poussé pour Les livres de Jakob. "Cela m’a pris huit ans à peu près d’écrire ce livre. La moitié, c’est la documentation, la préparation, les recherches. J’essayais d’arriver jusqu’aux informations oubliées aujourd’hui. J’ai dû voyager pour pouvoir décrire cette époque très exotique", décortique celle qui ne rejette pas le qualificatif d'obsessionnelle. "L’obsession est quelque chose d’important dans l’écriture. Je pense que c’est la seule chose qui nous permet de continuer à écrire", explique-t-elle, regrettant en parallèle l'aspect très solitaire de la vie d'écrivain.
Écrivaine psychologue
Ce métier n'a d'ailleurs pas toujours été le sien. Entourée d'une mère professeure de littérature, elle s'était, elle, dirigée vers la psychologie. Elle trouve néanmoins des liens étroits entre les deux domaines. Et quelques différences qui ont été fondamentales dans ses choix : d'après elle, la psychologie est liée à une potentialité, quand la littérature présente un résultat. La psychologie est un moyen de trouver son "propre chemin", quand la littérature consacre "les mots des autres".
Olga Tokarczuk a donc d'abord choisi sa propre voie. Elle est devenue psychologue, jusqu'à ce qu'une sorte de burn-out la stoppe et qu'elle décide, presque du jour au lendemain, de prendre "une année sabbatique" pour se consacrer à son premier livre. "Le succès dans la littérature est quelque chose de tout à fait exceptionnel. Mais je voulais bien prendre ce risque." Elle pensait qu'elle pourrait d'ailleurs toujours revenir à son métier de psychologue. Et puis, son premier roman a été "très bien reçu, récompensé". Pour définitivement l'emmener du côté de la littérature.