Après les crispations, place aux "améliorations" promises dimanche par Manuel Valls. Le Premier ministre a commencé à recevoir lundi toutes les organisations syndicales et patronales afin de discuter du projet de loi El Khomri. Or, la tâche est des plus ardues : aucun des syndicats n’est prêt à signer cette réforme en l’état, y compris la très réformiste CFDT. De nombreux économistes, l’aile gauche du PS et une bonne partie de l’opinion sont sur la même ligne et une première journée de mobilisation est même prévue mercredi. Le gouvernement doit donc faire des concessions tout en prenant le soin de ne pas trop dénaturer son texte afin de ne pas se mettre à dos le patronat. Que réclament les syndicats ? Sur quels points le gouvernement est-il prêt à bouger ? Voici ce qu’il faut retenir des négociations menées lundi.
La CGT et FO pour un retrait total. Avec les deux centrales, la situation est claire : elles demandent un retrait du texte. Les discussions menées lundi ont donc été infructueuses. "Je ne négocie pas un plat de lentilles, on veut le repas complet", a taclé Jean-Claude Mailly, secrétaire général du syndicat FO, menaçant d'actions autres que celles déjà programmées les 9 et 31 mars.
Les aménagements demandés par la CFDT et la CFTC. Les deux syndicats sont, eux, prêt à négocier, mais ils ont posé leurs conditions : la suppression du barème prud’homale, une autre réforme du licenciement économique et des aménagements sur les nouvelles libertés accordées à l’employeur en termes de temps du travail. "Nous avons été écoutés, il nous a été dit que la porte était ouverte au dialogue, que des choses pouvaient évoluer, qu'il y avait des espaces. Mais il ne nous a pas été donné de réponses parce que les auditions ne sont pas terminées", a prévenu Laurent Berger.
• Sur les indemnités prud’homales. Le gouvernement souhaite instaurer un barème pour qu’un employeur sache ce qu’il risque de payer s’il licencie en dehors des règles ? Pour la CFDT, il en est hors de question. Soi ce barème devient indicatif – et non plus obligatoire -, soit il faut le revoir. Le gouvernement serait prêt à y ajouter un nouvel étage pour qu’il prenne mieux en compte la situation des employés ayant une importante ancienneté. Reste à savoir si cela suffira pour la CFDT.
• Sur le licenciement économique. Aujourd'hui, une filiale installée en France ne peut pas être considérée comme en difficultés, et donc procéder à des licenciements économiques, si sa maison-mère et le reste du groupe se portent bien. Avec la loi El Khomri, seule l'activité en France serait prise en compte, un changement de périmètre dont les multinationales pourraient profiter pour mener un dumping social. Les syndicats réformistes demandent à minima que l’état de santé d’une entreprise soit jugé à l’échelle européenne. Les négociations sont visiblement en cours : "il y a une ouverture" mais "on ne sait pas où seront les curseurs", a déclaré lundi Philippe Louis, président de la CFTC.
• Sur l’organisation du temps de travail. Habituellement, la gestion du temps de travail et la prise en compte des spécificités de certains métiers sont négociées au niveau des branches professionnelles entre syndicats et patronat. Les entreprise sont alors obligées de respecter les accords conclus dans leur branche. Mais la loi El Khomri souhaite redonner du pouvoir à l’entreprise en l’autorisant à négocier directement avec ses salariés des modulations du temps de travail, l’instauration du forfait-jour, etc. Mais pour les syndicats, cette réforme change radicalement le rapport de force : un employeur pourra plus facilement imposer ses vues si les négociations se passent au niveau de l’entreprise. Finalement, un juste milieu pourrait être trouvé : "on a toujours négocié pour une branche forte. Là cette volonté est, je pense partagée. J'ai senti qu'on pouvait réguler au niveau de la branche certaines négociations qui n'auraient pas abouti au niveau de l'entreprise", a assuré le chef de file de la CFTC.
• Sur le compte personnel d’activité (CPA). C’est l’une des rares mesures favorables à l’employé : faire en sorte que les droits sociaux acquis par un travailleur ne soient pas perdus lorsqu’il change d’entreprise ou de secteur, ce qui est devenu de plus en plus fréquent. Le CPA doit donc accompagner le travailleur tout au long de sa carrière et contenir son compte personnel de formation (CPF) et son compte pénibilité. Sauf que ces deux dispositifs ont déjà été actés, si bien que le CPA ne fait que les englober. Les syndicats en veulent donc plus : Nous avons également dit que nous voulions que le compte personnel d'activité soit nourri de nouveaux droits, notamment un compte temps, mais aussi des droits à la formation accrus pour les moins qualifiés", a résumé la CFDT. Le gouvernement serait prêt à bouger, même si la concrétisation du CPA reste encore très lointaine et vague.
Quelle est la position des employeurs ? Medef, CGPME et les artisans de l'UPA sont restés très discrets dans le débat sur la loi El Khomri, et pour cause : le texte reprend une bonne partie de leurs revendications. Les organisations patronales ont donc décidé de faire profil bas : "on souhaite que le texte reste ambitieux. Il faut garder des mesures puissantes pour faire reculer le chômage", a résumé samedi un porte-parole du Medef. Mais les possibles concessions accordées aux syndicats pourraient inciter les organisations patronales à changer de ligne. Après la CGPME ce lundi, le Medef doit être reçu à Matignon mardi et l’UPA mercredi.