Alors que les salariés de la SNCF s’apprêtent à entamer leur mouvement de grève mardi 3 avril (avec des perturbations dès lundi soir), le gouvernement dévoile un peu plus son jeu. Élisabeth Borne a présenté vendredi les modalités et le calendrier de l’ouverture à la concurrence des chemins de fer français. Loin de la fermeté affichée lors de l’annonce de la réforme, la ministre des Transports a concédé un peu de terrain aux cheminots. Suffisant pour altérer la détermination des syndicats ?
Temporisation sur la concurrence. Première main tendue aux syndicats : le gouvernement ne passera pas par les ordonnances pour mettre en place l’ouverture à la concurrence. Il y aura un débat parlementaire et donc la possibilité de confronter les points de vue et amender la réforme. "Il y aura la place pour les syndicats de se faire entendre dans le débat parlementaire", a assuré Élisabeth Borne. Au-delà de la forme, l’exécutif a surtout temporisé sur le fond. Le calendrier de l’ouverture à la concurrence est finalement très progressif, avec possibilité d’attendre 2023 dans toutes les régions (le coup d’envoi sera donné en 2020), à l’exception de l’Île-de-France qui pourra attendre jusqu’en 2033 pour casser le monopole de la SNCF sur le Transilien et même 2039 pour le RER.
Des garanties sociales préservées. Surtout, Élisabeth Borne a insisté sur le souhait du gouvernement de maintenir un "haut niveau de garanties sociales" pour les cheminots lors de l’ouverture à la concurrence, quelle que soit la date. Ainsi, la question de la "portabilité des droits" a fait l’objet d’une concertation appuyée au sein du ministère. Concrètement, si la SNCF perd la gestion d’une ligne et qu’un salarié doit être transféré vers le concurrent privé, son départ sera strictement encadré. D’abord car le transfert ne sera pas obligatoire, avance Les Échos, et intégrera une part de volontariat.
Ensuite, le salarié en question partira avec plusieurs avantages propres à la SNCF : garantie de l’emploi, régime de retraite spécial. De plus, il garderait son niveau de rémunération, primes incluses. En revanche, les facilités de circulations (billets gratuits) et l’accès au système de soins particulier des salariés de la SNCF devront être négociés dans un accord de branche. De sérieuses concessions faites aux syndicats mais pas de quoi tempérer la grève qui s’amorce.
" Il y a de bonnes intentions mais encore faut-il les finaliser "
La concurrence, inquiétude pour les syndicats. En effet, bien que les principales revendications des grévistes portent sur la suppression progressive du statut de cheminot, l’ouverture à la concurrence reste a minima un motif d’inquiétude pour les syndicats modérés (CFDT et Unsa s’inquiètent de l’arrivée d’opérateurs privés), voire de blocage pour les plus déterminés (CGT et SUD dénoncent la casse du service public). Le sujet fait notamment partie des points abordés sur la "plateforme revendicative commune" mise en place par les quatre organisations afin de proposer une "autre réforme ferroviaire".
Pour la CGT, la fin programmée du monopole public de la SNCF peut et doit même être annulée. Le syndicat argue que des clauses existent dans la législation européenne, celles-là même utilisées par le gouvernement pour repousser au-delà de 2023 la concurrence en Île-de-France, qui autorisent la France à s’affranchir de l’obligation imposée par Bruxelles d’ouvrir le rail à la concurrence. Évidemment, le gouvernement ne fera pas marche arrière. L’ouverture à la concurrence "a été décidée", martèle Élisabeth Borne. "Le sujet, c'est comment on s'y prépare."
"Le compte n’y est pas pour l’instant ". Résultat, les annonces de l’exécutif ne feront pas fléchir les syndicats. A trois jours des premiers débrayages dans toute la France, les représentants des salariés campent fermement sur leurs positions. "Un certain nombre de sujets sont mis sur la table en termes de dates pour l’ouverture à la concurrence et de conditions de transfert de personnel. Mais aujourd’hui, ces annonces ne sont pas de nature à lever les inquiétudes des cheminots", affirme Didier Aubert, secrétaire général de la CFDT Cheminots, interrogé par Europe 1. "On rentre dans le dur du sujet, les négociations ont commencé mais sont loin d’être terminées. Devant la pression des cheminots, le gouvernement commence à se mettre autour de la table pour négocier mais clairement, le compte n’y est pas pour l’instant."
Son collègue de l’Unsa Ferroviaire Roger Dillenseger tient à peu près le même discours. "On est sur des bonnes intentions sur certains sujets précis mais encore faut-il les finaliser, les acter clairement. On a fait avancer les échanges d’un pas en imposant à la ministre des négociations", souligne-t-il. Mais Élisabeth Borne a beau "déplorer" la grève qui vient, les syndicats réclament des actes concrets et maintiennent le cap : le bras de fer continue.