Après des semaines de polémiques et de revirements, le projet de loi Travail, baptisé loi El Khomri, va franchir un nouveau cap : le texte doit être présenté jeudi en Conseil des ministres. Mais le texte, qui a beaucoup évolué depuis sa genèse, n’est pas figé pour autant : de nouvelles modifications pourraient intervenir lors de son examen par les parlementaires à partir du 5 avril. De quoi susciter de nouveaux débats.
Le gouvernement veut rééquilibrer le texte en faveur des PME. Après avoir rédigé un texte jugé bien trop favorable aux employeurs, le gouvernement a revu sa copie pour la rééquilibrer en faveur des salariés. Mais en voulant calmer les syndicats, il a provoqué le mécontentement du patronat, qui estime désormais que cette réforme a été vidée de son sens. Le gouvernement souhaite donc peaufiner une nouvelle fois son texte : certaines mesures abandonnées sous la pression des syndicats pourraient donc faire leur retour par le biais d'amendements parlementaires, mais sous une autre formulation et en étant réservées aux seules PME et TPE. Un rééquilibrage confirmé par le rapporteur du texte, le député PS Christophe Sirugue : "Objectivement, le texte est faible pour les TPE-PME. Leur vraie préoccupation, c'est l'insécurité juridique, les tracasseries administratives. C'est là-dessus qu'il faut agir", a-t-il déclaré dans Les Echos jeudi matin.
Pour arriver à ses fins sans provoquer de nouvelle polémique, le gouvernement pense à l'expérimentation, d'après les informations d'Europe 1 : en clair, tester des dispositifs pendent une période limitée et pour un public donné, qui serait principalement constitué de PME et de TPE. Ainsi, le passage au forfait-jour ou le fractionnement du temps de repos entre deux jours pourraient être expérimentés, mais seulement par les jeunes entreprises innovantes, c'est-à-dire les starts-up. Et si cela fonctionne, ces mesures pourraient être généralisées par la suite.
Les employeurs en demandent plus... Ravies de la première mouture du projet de loi, les organisations patronales étaient restées très discrètes, mais la réécriture décidée mi-mars a changé la donne. Depuis, les employeurs se sont ligués et ont lancé mardi "un appel solennel" au Premier ministre : "le projet de loi El Khomri n'est pas acceptable en l'état et doit absolument être enrichi lors du débat parlementaire pour être acceptable", estiment le Medef, la CGPME, l’Afep, le Meti, la FNSEA ou encore Croissance Plus.
Et les organisations patronales de lister les mesures qu’elles espèrent voir rétablies ou ajoutées : le fameux plafonnement des indemnités prud’homales, la possibilité donnée à l’employeur d’imposer unilatéralement le forfait-jour et d’organiser un référendum interne ou encore l’alignement du temps de travail des apprentis sur celui du tuteur. Le patronat s’oppose aussi à l’augmentation des heures de délégation syndicale et au mandatement, la possibilité que les employés des TPE/PME n’ayant pas de représentant soient assistés par un représentant syndical. Sans oublier sa nouvelle demande d’un moratoire sur le Compte pénibilité, une manière à peine détournée de demander son enterrement.
...Mais les syndicats souhaitent également des ajustements. Décidé à refaire un geste en faveur des employeurs, le gouvernement ne doit pas aller trop loin non plus. Car, en face, les rares syndicats prêts à soutenir la loi El Khomri (CFDT,CFTC, CFE-CGC et Unsa) menacent de ne plus jouer le jeu si le gouvernement ajoute de nouvelles mesures défavorables aux employés. Et ils exigent toujours des modifications du texte. Ainsi, la CFDT demande une réécriture du chapitre sur les licenciements économiques pour les encadrer davantage et souhaite que la médecine du travail ne soit pas trop détricotée.
Sans oublier les parlementaires et les frondeurs. En plus de devoir convaincre les syndicats, le gouvernement a également dû faire de la pédagogie auprès de ses propres troupes. Déstabilisée par la première mouture du texte, la majorité socialiste a finalement été convaincue par la deuxième version de la loi El Khomri. Mais la moindre modification de dernière minute en faveur des employeurs pourrait faire perdre le soutien de plusieurs députés et menacer l’adoption de la réforme.
Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement va en plus devoir faire avec les députés frondeurs issus du PCF, du Parti de gauche, des écologistes et de l’aile gauche du PS. L’un de leurs représentants, le député PS de la Nièvre Christian Paul, a donné le ton : il promet "une bataille parlementaire extrêmement ferme". Les frondeurs sont en effet en train de finaliser une contre-loi El Khomri qui serait axée sur d’autres priorités : adapter la protection sociale aux carrières discontinues, lutter contre le "salariat déguisé" permis par "l’uberisation" de la société et le statut d’auto-entrepreneur, ou encore protéger davantage les travailleurs face à l’essor du numérique dans les entreprises.