Il y a un an, le scandale des "Panama Papers" jetait une lumière crue sur le monde si opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux. À moins de trois semaines du premier tour de la présidentielle, les candidats semblent s'accorder à lutter contre ce fléau, qui ferait perdre à l'État entre 60 et 80 milliards d'euros par an selon les chiffres les plus souvent avancés. Mais rares sont ceux à faire des propositions concrètes.
Évasion, fraude ou optimisation ? Il est d'abord important de distinguer l'évasion, la fraude et l'optimisation fiscale. Selon le Conseil des prélèvements obligatoires (institution associée à la Cour des comptes), il s’agit de "l’ensemble des comportements du contribuable qui visent à réduire le montant des prélèvements dont il doit normalement s’acquitter". Si cela consiste à utiliser les instruments juridiques existants, de façon licite – à défaut d'être toujours morale – on parle d'optimisation fiscale. Si cela résulte d'une action illégale et délibérée, il s'agit alors de fraude fiscale.
Au niveau national, elle se caractérise par la dissimulation d’informations sur les revenus ou le capital imposable. C'est ce qu'il se passe notamment en cas de travail dissimulé. Au niveau international, elle permet de contourner l’impôt en domiciliant ou en dissimulant ses revenus et ses capitaux à l’étranger, souvent dans des paradis fiscaux, à l'image du Panama donc, mais aussi de Singapour, de la Suisse ou des Îles Caïman pour ne citer qu'eux. Conséquence : l'État perd de l'argent, qu'il récupère en augmentant les impôts des autres contribuables.
Que proposent les candidats ? Pour lutter contre la fraude fiscale, la France a déjà développé ces dernières années son arsenal juridique, en créant en 2013 le désormais fameux parquet national financier (PNF) ainsi que l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Si les onze candidats à la présidentielle évoquent le sujet dans leurs programmes respectifs, seuls Jacques Cheminade, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon avancent des mesures précises au niveau national. Les trois hommes partagent d'ailleurs la volonté de donner à la justice la capacité d'enquêter et de se saisir d’un dossier sans l’aval du ministère des Finances, ce qui n'est actuellement pas le cas, même en cas de flagrant délit. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon promettent également de renforcer les moyens donnés à l'administration fiscale et aux douanes.
Nathalie Arthaud, elle, se contente de dénoncer toutes les "armes du patronat" qui lui permettent de "protéger ses richesses". Emmanuel Macron fait simplement part de sa volonté d' "alourdir les sanctions" contre les fraudeurs, quand Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan affirment laconiquement vouloir "lutter contre". Pour François Fillon, c'est pire : aucune mention n'est faite dans son programme à l'évasion ou à la lutte fiscale.
60 à 80 milliards d'euros de manque à gagner. La fraude fiscale représente pourtant un manque à gagner considérable pour l'État français. S'il est difficile de mesurer ce qui se veut, par définition, caché, le chiffre le plus souvent évoqué fait état de 60 à 80 milliards d'euros de recettes fiscales qui échappent à la France chaque année. Ce chiffre, porté par le syndicat des finances publiques Solidaires, est avancé aussi bien dans des rapports parlementaires - parmi lesquels celui mené en 2013 par Nicolas Dupont-Aignan et le député communiste Alain Bocquet – que lors d'auditions menées à l'Assemblée ou au Sénat, telles que celle datant de juin 2016 au palais du Luxembourg, dans la foulée des "Panama Papers". 60 à 80 milliards d'euros, c'est sensiblement le montant du déficit budgétaire de la France, qui a atteint environ 69 milliards d'euros en 2016, comme l'a déjà annoncé le ministre des Finances Michel Sapin ; ou le budget de l'Éducation nationale, qui s'élèvera lui à 68,4 milliards d'euros pour 2017.
En 2015, l'administration fiscale a procédé à des redressements fiscaux records, portant sur 21,2 milliards d'euros, soit 1,9 milliard de plus qu'en 2014. "Ces chiffres - déjà élevés - font peser un doute quant à l’intérêt réel d’un investissement accru contre la fraude et l’évasion fiscale", notait l'Institut Montaigne sur son blog, le mois dernier, soulignant la difficulté d'évaluer les bénéfices attendus des propositions des candidats.
Agir au niveau international : obligatoire mais compliqué. Pour l’association anti-corruption Anticor, qui organisait lundi une conférence avec les candidats à la présidentielle ou leurs représentants (exception faite de François Fillon), la lutte, pour être réellement efficace, doit aussi avoir lieu au niveau européen et international. Marine Le Pen promet ainsi de renforcer la coopération fiscale internationale et Jean-Luc Mélenchon appelle de ses vœux un "blocus international des paradis fiscaux", rappelle Le Monde. Emmanuel Macron, lui, plaide pour une action européenne afin d'éviter les pratiques d’optimisation fiscale des grandes entreprises.
À l'échelle de l'Europe, toute mesure d'unification ou d'harmonisation de la base fiscale doit cependant être prise à l'unanimité. Or, si la France et l'Allemagne font preuve d'un certain volontarisme, d'autres États, comme l'Irlande, le Luxembourg ou Chypre y sont opposés, ce qui bloque toute modification des règles.