En 1948, le président américain sortant et candidat pour le camp démocrate semble trop impopulaire pour l'emporter. Il va pourtant créer la surprise. Dans le deuxième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, sur l'histoire des présidentielles américaines, Olivier Duhamel vous raconte l'incroyable élection de Harry Truman.
Personne n'avait imaginé que l'élection présidentielle américaine de 1948 se terminerait par la victoire d'Harry Truman. A l'époque, le candidat démocrate, qui dirigea le pays à la mort de Franklin Roosevelt en 1945, n'est pas du tout le favori des sondages. Pire, il est raillé dans son propre camp. Dans le deuxième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel vous raconte l'incroyable histoire de l'élection de Harry Truman, ce président qu’on n’attendait pas.
Ce podcast est réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne
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L'élection de 1948, la première de l'après Seconde guerre mondiale, est une élection incroyable au sens propre du terme. Quasiment personne n’avait imaginé qu’elle se terminerait comme elle s’est terminée. Commençons par le commencement. Le paysage politique de la présidentielle est désormais bien connu. Comme depuis des décennies, deux partis s’affronteront, le républicain côté droit, le démocrate côté gauche. Avant le vote de début novembre 1948, chaque camp doit choisir son champion. Il le fait dans une Convention au début de l’été, qui réunit un ensemble de délégués, les uns nommés par le parti, les autres élus dans les États par une succession de primaires ou de caucus, c’est-à-dire de réunions de militants.
Franklin Roosevelt, l’homme du New Deal après la grande crise de 1929, Roosevelt, le démocrate qui a sorti le pays de la récession, Roosevelt le président élu en 1932, réélu en 1936, réélu en 1940, réélu en 1944, Roosevelt le chef de l’État qui a conduit le pays dans la Seconde guerre mondiale, Franklin Delano Roosevelt donc, est mort le 12 avril 1945. Son vice-président, Harry Truman, est devenu président des États-Unis, comme le prévoit la Constitution. Il devrait donc être sans problème candidat démocrate à sa réélection. La question, durant les six premiers mois de 1948, est de savoir qui sera le candidat républicain contre lui.
Côté républicain : Dewey affronte Stassen
Une célébrité très populaire pourrait faire l’unanimité, le général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées en Europe, l’homme du 6 juin 1944 auréolé de gloire. Mais le général Eisenhower repousse les avances qui lui sont faites. Huit candidats se retrouvent en lice pour l’investiture.
Le favori se nomme Thomas Dewey. Âgé de 46 ans, il présente bien avec ses cheveux noirs gominés et sa moustache à la Clark Gable. Procureur avant d’entrer en politique, il a contribué à faire condamner le mafieux Lucky Luciano en 1936. Il a été facilement réélu gouverneur de l’État de New York en 1946. Roosevelt l’a battu lors de la présidentielle quatre ans plus tôt, mais n’est pas Roosevelt qui veut, et la guerre est finie. Et puis Dewey se situe au centre du parti républicain, position a priori idéale pour être désigné.
Parmi ses concurrents, le plus connu, le général McArthur qui a gagné la guerre contre le Japon, n’est pas le plus dangereux. Précisément parce qu’il est toujours au Japon, chargé d’administrer le pays ! Impossible donc de faire campagne. Et pour être investi par son parti, il faut faire campagne. Deux candidats semblent se détacher pour concurrencer Dewey. Sur sa gauche, le libéral Harold Stassen, ancien gouverneur du Minnesota. Aux États-Unis, libéral veut dire progressiste, de gauche. Et, sur sa droite, le sénateur de l’Ohio, en première ligne dans le combat contre le New Deal, ce quasi socialisme de Roosevelt, le leader de l’aile conservatrice, Robert Taft, fils de son père William qui fut président des États-Unis de 1909 à 1913.
Dewey, le New-Yorkais aux cheveux gominés, pense qu’il sera désigné sans problème. Sauf que les premières primaires donnent deux victoires au libéral Stassen, dans le Wisconsin et le Nebraska. Dewey sent le danger et se jette dans la bataille pour la primaire de l’Oregon. Il dépense 150.000 dollars en spots d’une minute sur toutes les radios locales, une somme jamais vue. Trois semaines durant, il laboure cet État sur la côte Pacifique, juste au nord de la Californie. Il serre des mains dans le moindre hameau. Un journaliste le baptisera "le plus grand explorateur de l’Oregon" depuis ceux qui l’avaient découvert en 1804.
Point d’orgue de la campagne, un grand débat est organisé entre Stassen et Dewey à la radio le 17 mai. Il est suivi par des dizaines de millions d’auditeurs à travers le pays. Le débat fait rage sur un point : faut-il interdire le parti communiste américain ? Et il se déroule à front renversé. C’est le libéral, plutôt à gauche, Stassen, qui plaide pour l’interdiction, et le modéré, centriste, Dewey qui s’y oppose absolument : "I am unalterably, wholeheartedly, and unswervingly against any scheme to write laws outlawing people because of their religious, political, social, or economic ideas". Traduction : "Je suis inaltérablement, sans réserve et inébranlablement contre toute idée d’écrire une loi qui mettrait des personnes hors la loi à cause de leur idées religieuses, politiques, sociales ou économiques".
Les commentateurs estiment que Dewey a gagné le débat. Vient alors la dernière épreuve pour l’investiture, celle de la Convention, réunie le 7 juin à Philadelphie. Dewey est plus que jamais le grand favori. Mais d’ultimes manœuvres prennent forme pour lui barrer la route. Juste avant la Convention, ses adversaires sollicitent à nouveau le général Eisenhower, lequel décline à nouveau. Le libéral Stassen et le conservateur Taft tentent alors un autre Stop Dewey movement. Pendant que les équipes de Dewey rencontrent les délégués les uns après les autres et leur promettent tel ou tel soutien demain, ses deux concurrents se rencontrent et s’accordent sur la nécessité de s’unir pour bloquer Dewey. Problème aucun des deux n’accepte de se retirer en faveur de l’autre. Vient le vote. 1er tour : Dewey 434, Taft 224, Stassen 157. 2ème tour : Dewey progresse mais toujours pas la majorité absolue requise. Taft demande à Stassen de se désister en sa faveur. Stassen refuse. Taft renonce enfin mais il est trop tard, plus de suspense. Dewey est désigné à l’unanimité. Tout baigne côté républicain.
Côté démocrate : Truman attaqué de toutes parts
Rien de tel côté démocrate. Harry Truman est devenu président par décès, celui de Roosevelt, donc par défaut. Pire, ses détracteurs peuvent l’attaquer de divers côtés. Soit ils raillent l’homme ordinaire, né dans le Missouri, fermier dans le Missouri, devenu sénateur du Missouri… Soit au contraire, ils condamnent l’homme qui a osé ordonner le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945, puis se confronter à l’Union soviétique et assumer la Guerre froide. Honni des pacifistes, méprisé par quelques élites, trop pour les uns, trop peu pour les autres, ce politicien de 66 ans est trop impopulaire et n’a aucune chance. Aux élections législatives de 1946, les démocrates ont d’ailleurs perdu le contrôle, et de la Chambre des représentants, et du Sénat.
Tout va se jouer d’abord à la Convention démocrate, qui se tient comme celle des Républicains un mois plus tôt, à Philadelphie, début juillet. Et cela ne se passe pas bien. Les anti-Truman, parmi lesquels James Roosevelt, fils de Franklin, cherchent une solution de remplacement du côté du général Eisenhower. Encore lui ! Ike, qui refuse les avances démocrates comme il avait refusé celles des Républicains. Ils en appellent ensuite à un juge de la Cour suprême. Nouveau refus. Truman est contesté sur sa droite par des Démocrates du Sud qui récusent l’extension des droits civiques et toute politique opposée à la ségrégation. Plus d’une trentaine de délégués du Sud quittent la Convention emmenés par le sénateur de la Caroline du sud, Strom Thurmond, qui crée le State’s Rights Democratic Party, le parti démocrate des droits des États et décide de se présenter à la présidentielle contre Truman. Il forme un ticket avec le sénateur de l’Ohio Glen Taylor, surnommé the singing cowboy, le cowboy chantant, parce qu’élu sénateur en 1944, il était arrivé au Sénat montant les marches du Capitole à cheval et en chantant.
Scission à droite donc, mais scission à gauche aussi, conduite par Henry Wallace, ancien vice-président de Roosevelt de 1941 à 1945, avant que ne lui soit préféré Truman pour le dernier mandat. Il fut ensuite ministre du Commerce, jusqu’à ce que Truman le révoque en septembre 1946 parce qu’il avait critiqué sa politique de durcissement contre l’Union soviétique. Les pacifistes de la gauche démocrate créent le Progressive Party, le parti progressiste, lequel investit Wallace comme candidat à la présidence quinze jours après la Convention démocrate.Truman a beau être investi comme candidat démocrate dès le premier tour par 77% des délégués, la Convention est tout sauf un succès puisqu’il en sort finalement trois candidats.
La "non-campagne" de Dewey, la surprise Truman
La campagne commence donc mal pour Truman, le président sortant, au mieux pour Dewey, son rival républicain. La campagne, ou plutôt, s’agissant de Dewey, la non-campagne. Archi-favori des sondages et sondeurs, politologues et autres commentateurs, politiques de tous bords et électeurs, Dewey et ses conseillers choisissent de ne prendre aucun risque. Le candidat accumule les platitudes du genre : You know that your future is ahead of you, "Vous savez que votre avenir est devant vous".
Face à lui, Truman fait un choix radicalement inverse. Avec son stratège, il décide de cibler principalement quatre groupes, les ouvriers, les noirs, les agriculteurs et les consommateurs. Ses meetings soulèvent l’enthousiasme. "Give him hell, Harry !" "Envoie le en enfer Harry". Chacun des deux candidats fait réaliser un film de fin de campagne. Celui de Dewey, luxueux, léché à souhait, montre un homme froid et terne, celui de Truman, bricolé, un chef qui sait décider. Les sondages se resserrent : de 17 points de retard, Truman passe à 9, puis 5. Pas assez pour s’inverser. Pour tous, Truman reste l’underdog, l’outsider, le perdant obligé. Tous, sauf lui. Truman, en sorte de Chirac avant l’heure, est persuadé qu’il finira par gagner.
Avant même le vote, des journaux publient des articles sur ce que sera la présidence de Dewey. Le grand magazine Life titre une photo du républicain "Notre nouveau président en ferryboat sur la baie de San Francisco ". L’hebdomadaire Newsweek interroge 50 experts. Tous sans exception prévoient l’élection de Dewey. Le sommet est atteint le lendemain de l’élection par le Chicago Daily Tribune qui titre sur cinq colonnes à la Une Dewey defeats Truman, "Dewey bat Truman". Le soir de l’élection, Truman a fui les reporters et est allé dormir tranquille à une cinquantaine de kilomètres de Kansas City. On le réveille à deux reprises pour lui annoncer sa victoire possible, puis certaine. À onze heures et quart Dewey a reconnu sa défaite. Trop tard pour que le quotidien de Chicago change sa Une. Truman obtient finalement 49,5% des votes populaires, Dewey 45%, les deux démocrates dissidents 2% chacun… Une photo désormais historique résume cette incroyable élection : Harry Truman réélu, hilare, brandissant le journal annonçant sa défaite.
Leçon n° 1. Un candidat donné archi battu peut l’emporter. Truman réussit l’exploit en 1948. Jacques Chirac confirmera la leçon quarante-sept ans plus tard, en 1995.
Mais Truman sera-t-il réélu ? Réponse dans le prochain épisode.
Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel
Préparation : Capucine Patouillet
Réalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise)
Cheffe de projet édito : Fannie Rascle
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Mikaël Reichardt
Archives : Patrimoine sonore d'Europe 1
Voix off anglaise : Andrew Miller
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