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Trump : comment l’impossible a-t-il été possible ?

Le 10 novembre 2016, le monde entier se réveille sous le choc. Donald Trump vient d'être élu président des Etats-Unis. Comment ce magnat de l'immobilier, roi de la contre-vérité, a-t-il pu se hisser à la tête du pays le plus puissant du monde ? Dans le douzième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio sur l'histoire des présidentielles américaines, Olivier Duhamel décortique une élection riche d’enseignements.Dire que cette victoire fut une surprise dans le monde entier est un euphémisme. Le 9 novembre 2016, Donald Trump est élu président des Etats-Unis avec 46% des voix contre 48 % pour Hillary Clinton, son adversaire démocrate. C'est la stupéfaction. Comment cette victoire a-t-elle pu avoir lieu ? Comment cet homme d'affaires milliardaire, misogyne, peu rigoureux et ouvertement raciste a-t-il pu même être choisi comme candidat ? Dans le douzième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel nous aide à comprendre et à en tirer des leçons pour l’avenir.Ce podcast est réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne Vous voulez écouter les autres épisodes de ce podcast ?>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr , sur Apple Podcasts , Google Podcasts , SoundCloud ou vos plateformes habituelles d’écoute.  Chacun sait qui a été élu président des États-Unis d’Amérique en 2016 : Donald Trump. La question n’est donc pas qui, mais comment. Comment cela a-t-il été possible ? Comment un candidat peut-il être élu avec 46% des voix contre 48% à son adversaire, près de trois millions de moins ? Cela, nous le savons. Parce que le vote est à deux degrés et qu’en perdant de beaucoup dans des grands États, tels la Californie et New York, mais en gagnant souvent de très peu dans nombre d’autres, tels l’Iowa, l’Ohio ou le Wisconsin, Trump a obtenu plus de grands électeurs. Soit. Mais la question demeure : comment est-ce possible ? Gérard Araud, à l’époque de la présidentielle ambassadeur de France à Washington, a posé par la suite les bonnes questions dans la revue Pouvoirs consacrée à Trump et sortie en janvier 2020. Je m’en inspire car ce sont les questions que nous nous posons encore : - Comment un candidat donné battu par quasiment tous peut-il gagner quand même ? - Comment un homme d’affaires, héritier, ayant fait six fois faillite peut-il être choisi ? - Comment un débatteur ignorant la plupart des dossiers et accumulant les contre-vérités peut-il s’en sortir ? - Comment un mari multipliant les adultères, un homme insultant les femmes peut-il être élu ? - Comment, dans un pays aux si nombreuses minorités, un blanc traitant les Mexicains de violeurs peut-il l’emporter? - Comment un type que tout le monde a vu à la télévision mimer un journaliste handicapé pour s’en moquer peut-il finir vainqueur ?Bref, comment l’impossible a-t-il été possible ?Un vote contre Hillary ClintonLa première raison tient à ce qu’est parfois une élection présidentielle : pas le choix de la personne préférée mais celui de la moins rejetée. Et Hillary Clinton était plus rejetée que Trump. Parce qu’elle incarnait le passé, le vieux système, dans le paysage depuis un quart de siècle, parce qu’elle était la quintessence de l’élite, des élites, l’élite politique, femme de Président, sénatrice de New York, puis secrétaire d’État, ministre des Affaires étrangères, d’Obama, l’élite économique, elle et son mari étant devenus multimillionnaires mais pas par l’entreprise, l’élite culturelle, celle des démocrates de la côte Est et de Hollywood sur la côte Ouest.Nous Européens, nous Français pensons que les anti-Trump étaient forcément plus nombreux que les anti-Clinton. C’est tout le contraire. Une enquête du Pew research center conduite à la mi-août 2016 indiquent d’une part que, des deux côtés, le vote contre était plus important que le vote pour. Et, voilà ce qu’il faut savoir : si 46% des électeurs allant voter Clinton disaient le faire avant tout contre Trump, ils étaient 53% chez ceux qui allaient voter Trump. Le vote Trump est donc avant tout un vote de rejet d’Hillary Clinton.Nul ne sait ce qu’aurait donné la présidentielle de 2016 si le populaire Joe Biden n’avait renoncé à se présenter en octobre 2015 ou si le socialiste Bernie Sanders lancé dans la course dès avril 2015 avait été choisi. Il a failli gagner le caucus de l’Iowa, a écrasé Clinton dans la primaire du New Hampshire, perdu dans le Nevada et la Caroline du sud, gagné seulement trois États contre 7 pour Hillary dans le premier Super Tuesday, s’est rattrapé dans les primaires suivantes, et le yo-yo a continué tout le printemps durant, jusqu’à la victoire décisive d’Hillary Clinton dans la primaire de Californie le 7 juin. Sanders l’a ensuite loyalement soutenue, même si une partie de ses électeurs n’a pas suivi.L’establishment républicain n'a pas contré TrumpDeuxième raison, en remontant plus avant dans le temps : l’incapacité de l’establishment républicain à contrer Trump. Il y a deux façons d’interpréter ce fait, et les deux ne s’excluent pas. D’une part, l’establishment du parti républicain, très hostile à Trump, a longtemps pensé qu’il ne gagnerait jamais l’investiture. Trump n’était pas du monde politique, de leur monde. Sa fortune était quelque peu douteuse. Sa notoriété quelque peu vulgaire. Il ne pouvait gagner les primaires, pensaient les caciques de la politique et de la politologie. Cette conviction bien ancrée qu’il n’irait pas loin a servi Trump : inutile de concevoir une stratégie pour l’arrêter. D’autre part, les électeurs n’obéissent plus à leurs leaders. Trump était donc l’homme que personne n’a vu venir. La campagne présidentielle pour 2016 a commencé dès le lendemain de la réélection d’Obama en 2012. Ou pour être précis, le surlendemain. Le 8 novembre 2012, le New York magazine affirme que la campagne pour dans quatre ans commence. Et le site Politico annonce que les candidats seront Jeb Bush, fils de son père H.W et petit frère de son frère W., gouverneur de Floride, pour les républicains et Hillary Clinton pour les démocrates.Au début de la première campagne, celle pour l’investiture républicaine, quinze candidats sont en lice, neuf gouverneurs ou ex-gouverneurs, cinq sénateurs, la présidente de l’entreprise Hewlett Packard, Carly Fiorina et le neurochirurgien Ben Carson. Trump arrive second dans l’Iowa et premier dans le New Hampshire. La plupart des candidats tombent, Jeb Bush renonce après son échec en Caroline du sud. Ils ne sont plus que trois après le premier Super Tuesday, le premier mars : Trump, Ted Cruz, sénateur du Texas et John Kasich gouverneur de l’Ohio. Si les deux derniers s’entendaient, Trump serait encore battable. Mais ils ne le font pas. Le second Super Tuesday, le 15 mars, leur est fatal. Plus rien ne peut arrêter Trump. Du moins pour l’investiture.Les politiciens républicains se sont aveuglés. Ils n’ont pas vu que la base leur échappait. Ils n’ont pas compris que Trump, par ses excentricités, disposait d’un atout considérable à savoir une exceptionnelle couverture médiatique, positive ou négative, qu’importe. Une étude de la revue American Politics Research de novembre 2018 a calculé que la couverture média gratuite dont a bénéficié Trump dans la campagne des primaires équivalait à une dépense de 2 milliards de dollars. Et Trump investi, cela va continuer.Hillary Clinton fait une mauvaise campagne...Troisième raison rendant possible l’impossible élection : la mauvaise campagne d’Hillary Clinton. Mauvaise parce qu’elle n’a pas saisi que le moment était populiste. Mauvaise parce qu’elle a pensé que le soutien de 75% de la presse et seulement 5% pour Trump était un atout en un temps où les médias sont décriés. Mauvaise parce qu’elle a débité son programme pendant que Trump la débinait. Mauvaise parce que les télé-électeurs ne retenaient pas grand chose de ses exposés laborieux mais saisissaient très bien les flèches empoisonnées de Trump.Mauvaise parce qu’elle a commis la lourde erreur d’insulter les électeurs trumpistes. Le 9 septembre, dans une réunion de levée de fonds auprès d’une association LGBT, elle déclare : "you could put half of Trump's supporters into what I call the basket of deplorables. Right ? They're racist, sexist, homophobic, xenophobic, islamophobic. "Vous pouvez mettre la moitié des électeurs de Trump dans ce que j’appelle un panier de déplorable. N’est-ce pas ? Ils sont racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes". Vrai ou faux, qu’importe. Il ne faut jamais injurier des masses d’électeurs....et néglige des Etats clésQuatrième raison : des États décisifs négligés par Clinton. Aux États-Unis, on appelle "swing states", des États qui, selon les élections, votent démocrate ou républicain. Par exemple l’Ohio ou la Floride. Dans tous les pays, vous avez des lieux qui votent toujours dans le même sens ou presque. Neuilly à droite, Saint-Denis à gauche. Et d’autres qui passent d’un camp à l’autre selon les scrutins. Ce sont donc ces derniers qui sont décisifs. Problème : la liste n’est pas immuable, un État longtemps fidèle à un camp peut basculer dans l’autre. Et cela, Hillary Clinton l’a oublié. Elle a négligé des États décisifs en pensant qu’ils lui étaient acquis. Trump a gagné grâce au Wisconsin, démocrate depuis 1984, à 0,8% d’avance, oubliant que si les centres urbains votent démocrate, les banlieues votent républicain et qu’elles se sont développées. Trump a gagné grâce à la Pennsylvanie, même écart, oubliant que cet État est une sorte d’Alabama du nord, comme l’a qualifié James Carville, le conseiller de Bill Clinton, très à gauche dans les villes, très à droite dans les campagnes. Trump a gagné grâce au Michigan, négligé par Hillary puisque cet État n’avait pas voté Républicain depuis 1988. Le temps des électeurs acquis dans des États garantis est passé.Ces quatre raisons suffisent à expliquer la défaite d’Hillary Clinton, donc la victoire de Donald Trump. D’autres sont souvent invoquées qui tiennent plutôt lieu de prétexte. L’ingérence russe, établie. Trente mille comptes russes ou pro-russe ont publié près d’un million et demi de messages sur Twitter. Des e-mails du parti démocrate et du directeur de campagne de Clinton ont été piratés, des fausses nouvelles massivement répandues. Autre explication en guise d’excuse, le FBI se serait abusivement immiscé dans la campagne. Onze jours avant l’élection, James Comey, directeur du FBI, a annoncé rouvrir le dossier dit des courriels d’Hillary Clinton, des messages qu’elle n’aurait pas dû avoir et conserver sur son mail personnel. Certes, il annonce que l’enquête n’a pas à être prolongée quelques jours après, mais le mal n’était-il pas fait ? Ces éléments ont pu jouer. Ils ne doivent pas masquer l’essentiel. La victoire de Trump en 2016 illustre à quel point nous sommes entrés dans des temps populistes de rejet des élites. Et d’une part Hillary Clinton incarnait à l’excès les élites rejetées. D’autre part ni elle, ni ses soutiens, ni la plupart des commentateurs n’ont compris que nous changions d’époque.Leçon n° 25 : Des manipulations venues de l’étranger peuvent intervenir dans la campagne et peser sur l’élection. Hillary Clinton en fut victime d’interventions russes en 2016. Aucune raison que la France soit épargnée.Leçon n° 26 : Ne jamais insulter les électeurs, même ceux de votre pire adversaire. Hillary Clinton l’a oublié. Les politiques français l’ont appris, qui de longue date n’injurient plus les électeurs du Rassemblement national.Leçon n° 27 : Ne jamais croire qu’une élection est gagnée. Donc ne jamais négliger des fiefs supposés acquis. Hillary commit cette erreur, perdant de justesse trois États antérieurement de très longue date acquis aux Démocrates, ce qui fit sa défaite. Bien avant, en France, des candidats persuadés d’atteindre le second tour furent écartés dès le premier, Balladur en 1995, Jospin en 2002.Leçon n° 28 : Un milliardaire populiste donné perdant par tous peut gagner. Nous avons changeons d’époque. La leçon n° 28 amplifie la première leçon, avec Trump outsider de la politique, élu en 2016. Nos milliardaires ne s’y sont pas tentés, en tout cas à ce jour. Mais cette ultime leçon nous en dit plus. Que dans nos démocraties fragilisées et contestées, désormais tout est possible.   "Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel Préparation : Capucine PatouilletRéalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise) Cheffe de projet édito : Fannie Rascle Diffusion et édition : Clémence Olivier Graphisme : Mikaël ReichardtArchives : Patrimoine sonore d’Europe 1 avec Xavier Yvon (19 juillet 2016)Voix off en anglais : Julie Delazin  

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Le 10 novembre 2016, le monde entier se réveille sous le choc. Donald Trump vient d'être élu président des Etats-Unis. Comment ce magnat de l'immobilier, roi de la contre-vérité, a-t-il pu se hisser à la tête du pays le plus puissant du monde ? Dans le douzième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio sur l'histoire des présidentielles américaines, Olivier Duhamel décortique une élection riche d’enseignements.


Dire que cette victoire fut une surprise dans le monde entier est un euphémisme. Le 9 novembre 2016, Donald Trump est élu président des Etats-Unis avec 46% des voix contre 48 % pour Hillary Clinton, son adversaire démocrate. C'est la stupéfaction. Comment cette victoire a-t-elle pu avoir lieu ? Comment cet homme d'affaires milliardaire, misogyne, peu rigoureux et ouvertement raciste a-t-il pu même être choisi comme candidat ? Dans le douzième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel nous aide à comprendre et à en tirer des leçons pour l’avenir.

Ce podcast est réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne

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Chacun sait qui a été élu président des États-Unis d’Amérique en 2016 : Donald Trump. La question n’est donc pas qui, mais comment. Comment cela a-t-il été possible ? Comment un candidat peut-il être élu avec 46% des voix contre 48% à son adversaire, près de trois millions de moins ? Cela, nous le savons. Parce que le vote est à deux degrés et qu’en perdant de beaucoup dans des grands États, tels la Californie et New York, mais en gagnant souvent de très peu dans nombre d’autres, tels l’Iowa, l’Ohio ou le Wisconsin, Trump a obtenu plus de grands électeurs. Soit. Mais la question demeure : comment est-ce possible ?

Gérard Araud, à l’époque de la présidentielle ambassadeur de France à Washington, a posé par la suite les bonnes questions dans la revue Pouvoirs consacrée à Trump et sortie en janvier 2020. Je m’en inspire car ce sont les questions que nous nous posons encore :
- Comment un candidat donné battu par quasiment tous peut-il gagner quand même ?
- Comment un homme d’affaires, héritier, ayant fait six fois faillite peut-il être choisi ?
- Comment un débatteur ignorant la plupart des dossiers et accumulant les contre-vérités peut-il s’en sortir ?
- Comment un mari multipliant les adultères, un homme insultant les femmes peut-il être élu ?
- Comment, dans un pays aux si nombreuses minorités, un blanc traitant les Mexicains de violeurs peut-il l’emporter?
- Comment un type que tout le monde a vu à la télévision mimer un journaliste handicapé pour s’en moquer peut-il finir vainqueur ?
Bref, comment l’impossible a-t-il été possible ?

Un vote contre Hillary Clinton

La première raison tient à ce qu’est parfois une élection présidentielle : pas le choix de la personne préférée mais celui de la moins rejetée. Et Hillary Clinton était plus rejetée que Trump. Parce qu’elle incarnait le passé, le vieux système, dans le paysage depuis un quart de siècle, parce qu’elle était la quintessence de l’élite, des élites, l’élite politique, femme de Président, sénatrice de New York, puis secrétaire d’État, ministre des Affaires étrangères, d’Obama, l’élite économique, elle et son mari étant devenus multimillionnaires mais pas par l’entreprise, l’élite culturelle, celle des démocrates de la côte Est et de Hollywood sur la côte Ouest.

Nous Européens, nous Français pensons que les anti-Trump étaient forcément plus nombreux que les anti-Clinton. C’est tout le contraire. Une enquête du Pew research center conduite à la mi-août 2016 indiquent d’une part que, des deux côtés, le vote contre était plus important que le vote pour. Et, voilà ce qu’il faut savoir : si 46% des électeurs allant voter Clinton disaient le faire avant tout contre Trump, ils étaient 53% chez ceux qui allaient voter Trump. Le vote Trump est donc avant tout un vote de rejet d’Hillary Clinton.

Nul ne sait ce qu’aurait donné la présidentielle de 2016 si le populaire Joe Biden n’avait renoncé à se présenter en octobre 2015 ou si le socialiste Bernie Sanders lancé dans la course dès avril 2015 avait été choisi. Il a failli gagner le caucus de l’Iowa, a écrasé Clinton dans la primaire du New Hampshire, perdu dans le Nevada et la Caroline du sud, gagné seulement trois États contre 7 pour Hillary dans le premier Super Tuesday, s’est rattrapé dans les primaires suivantes, et le yo-yo a continué tout le printemps durant, jusqu’à la victoire décisive d’Hillary Clinton dans la primaire de Californie le 7 juin. Sanders l’a ensuite loyalement soutenue, même si une partie de ses électeurs n’a pas suivi.

L’establishment républicain n'a pas contré Trump

Deuxième raison, en remontant plus avant dans le temps : l’incapacité de l’establishment républicain à contrer Trump. Il y a deux façons d’interpréter ce fait, et les deux ne s’excluent pas. D’une part, l’establishment du parti républicain, très hostile à Trump, a longtemps pensé qu’il ne gagnerait jamais l’investiture. Trump n’était pas du monde politique, de leur monde. Sa fortune était quelque peu douteuse. Sa notoriété quelque peu vulgaire. Il ne pouvait gagner les primaires, pensaient les caciques de la politique et de la politologie. Cette conviction bien ancrée qu’il n’irait pas loin a servi Trump : inutile de concevoir une stratégie pour l’arrêter. D’autre part, les électeurs n’obéissent plus à leurs leaders. 

Trump était donc l’homme que personne n’a vu venir. La campagne présidentielle pour 2016 a commencé dès le lendemain de la réélection d’Obama en 2012. Ou pour être précis, le surlendemain. Le 8 novembre 2012, le New York magazine affirme que la campagne pour dans quatre ans commence. Et le site Politico annonce que les candidats seront Jeb Bush, fils de son père H.W et petit frère de son frère W., gouverneur de Floride, pour les républicains et Hillary Clinton pour les démocrates.

Au début de la première campagne, celle pour l’investiture républicaine, quinze candidats sont en lice, neuf gouverneurs ou ex-gouverneurs, cinq sénateurs, la présidente de l’entreprise Hewlett Packard, Carly Fiorina et le neurochirurgien Ben Carson. Trump arrive second dans l’Iowa et premier dans le New Hampshire. La plupart des candidats tombent, Jeb Bush renonce après son échec en Caroline du sud. Ils ne sont plus que trois après le premier Super Tuesday, le premier mars : Trump, Ted Cruz, sénateur du Texas et John Kasich gouverneur de l’Ohio. Si les deux derniers s’entendaient, Trump serait encore battable. Mais ils ne le font pas. Le second Super Tuesday, le 15 mars, leur est fatal. Plus rien ne peut arrêter Trump. Du moins pour l’investiture.

Les politiciens républicains se sont aveuglés. Ils n’ont pas vu que la base leur échappait. Ils n’ont pas compris que Trump, par ses excentricités, disposait d’un atout considérable à savoir une exceptionnelle couverture médiatique, positive ou négative, qu’importe. Une étude de la revue American Politics Research de novembre 2018 a calculé que la couverture média gratuite dont a bénéficié Trump dans la campagne des primaires équivalait à une dépense de 2 milliards de dollars. Et Trump investi, cela va continuer.

Hillary Clinton fait une mauvaise campagne...

Troisième raison rendant possible l’impossible élection : la mauvaise campagne d’Hillary Clinton. Mauvaise parce qu’elle n’a pas saisi que le moment était populiste. Mauvaise parce qu’elle a pensé que le soutien de 75% de la presse et seulement 5% pour Trump était un atout en un temps où les médias sont décriés. Mauvaise parce qu’elle a débité son programme pendant que Trump la débinait. Mauvaise parce que les télé-électeurs ne retenaient pas grand chose de ses exposés laborieux mais saisissaient très bien les flèches empoisonnées de Trump.

Mauvaise parce qu’elle a commis la lourde erreur d’insulter les électeurs trumpistes. Le 9 septembre, dans une réunion de levée de fonds auprès d’une association LGBT, elle déclare : "you could put half of Trump's supporters into what I call the basket of deplorables. Right ? They're racist, sexist, homophobic, xenophobic, islamophobic. "Vous pouvez mettre la moitié des électeurs de Trump dans ce que j’appelle un panier de déplorable. N’est-ce pas ? Ils sont racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes". Vrai ou faux, qu’importe. Il ne faut jamais injurier des masses d’électeurs.

...et néglige des Etats clés

Quatrième raison : des États décisifs négligés par Clinton. Aux États-Unis, on appelle "swing states", des États qui, selon les élections, votent démocrate ou républicain. Par exemple l’Ohio ou la Floride. Dans tous les pays, vous avez des lieux qui votent toujours dans le même sens ou presque. Neuilly à droite, Saint-Denis à gauche. Et d’autres qui passent d’un camp à l’autre selon les scrutins. Ce sont donc ces derniers qui sont décisifs. Problème : la liste n’est pas immuable, un État longtemps fidèle à un camp peut basculer dans l’autre. Et cela, Hillary Clinton l’a oublié. Elle a négligé des États décisifs en pensant qu’ils lui étaient acquis. Trump a gagné grâce au Wisconsin, démocrate depuis 1984, à 0,8% d’avance, oubliant que si les centres urbains votent démocrate, les banlieues votent républicain et qu’elles se sont développées. Trump a gagné grâce à la Pennsylvanie, même écart, oubliant que cet État est une sorte d’Alabama du nord, comme l’a qualifié James Carville, le conseiller de Bill Clinton, très à gauche dans les villes, très à droite dans les campagnes. Trump a gagné grâce au Michigan, négligé par Hillary puisque cet État n’avait pas voté Républicain depuis 1988. Le temps des électeurs acquis dans des États garantis est passé.

Ces quatre raisons suffisent à expliquer la défaite d’Hillary Clinton, donc la victoire de Donald Trump. D’autres sont souvent invoquées qui tiennent plutôt lieu de prétexte. L’ingérence russe, établie. Trente mille comptes russes ou pro-russe ont publié près d’un million et demi de messages sur Twitter. Des e-mails du parti démocrate et du directeur de campagne de Clinton ont été piratés, des fausses nouvelles massivement répandues. Autre explication en guise d’excuse, le FBI se serait abusivement immiscé dans la campagne. Onze jours avant l’élection, James Comey, directeur du FBI, a annoncé rouvrir le dossier dit des courriels d’Hillary Clinton, des messages qu’elle n’aurait pas dû avoir et conserver sur son mail personnel. Certes, il annonce que l’enquête n’a pas à être prolongée quelques jours après, mais le mal n’était-il pas fait ? Ces éléments ont pu jouer. Ils ne doivent pas masquer l’essentiel. La victoire de Trump en 2016 illustre à quel point nous sommes entrés dans des temps populistes de rejet des élites. Et d’une part Hillary Clinton incarnait à l’excès les élites rejetées. D’autre part ni elle, ni ses soutiens, ni la plupart des commentateurs n’ont compris que nous changions d’époque.

Leçon n° 25 : Des manipulations venues de l’étranger peuvent intervenir dans la campagne et peser sur l’élection. Hillary Clinton en fut victime d’interventions russes en 2016. Aucune raison que la France soit épargnée.

Leçon n° 26 : Ne jamais insulter les électeurs, même ceux de votre pire adversaire. Hillary Clinton l’a oublié. Les politiques français l’ont appris, qui de longue date n’injurient plus les électeurs du Rassemblement national.

Leçon n° 27 : Ne jamais croire qu’une élection est gagnée. Donc ne jamais négliger des fiefs supposés acquis. Hillary commit cette erreur, perdant de justesse trois États antérieurement de très longue date acquis aux Démocrates, ce qui fit sa défaite. Bien avant, en France, des candidats persuadés d’atteindre le second tour furent écartés dès le premier, Balladur en 1995, Jospin en 2002.

Leçon n° 28 : Un milliardaire populiste donné perdant par tous peut gagner. Nous avons changeons d’époque. La leçon n° 28 amplifie la première leçon, avec Trump outsider de la politique, élu en 2016. Nos milliardaires ne s’y sont pas tentés, en tout cas à ce jour. Mais cette ultime leçon nous en dit plus. Que dans nos démocraties fragilisées et contestées, désormais tout est possible.

 

 

"Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel

Préparation : Capucine Patouillet
Réalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise)

Cheffe de projet édito : Fannie Rascle
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Mikaël Reichardt
Archives : Patrimoine sonore d’Europe 1 avec Xavier Yvon (19 juillet 2016)

Voix off en anglais : Julie Delazin

 

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