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Jean-Sébastien Soldaïni, envoyé spécial à Istanbul, édité par B.B , modifié à
Le référendum adopté vise à remplacer le régime parlementaire par un régime présidentiel, avec notamment la suppression du poste de Premier ministre.
REPORTAGE

Le 16 avril dernier, un referendum validait de justesse la réforme constitutionnelle qui fera de Recep Tayyip Erdogan un hyper-président aux quasis plein-pouvoirs. Et depuis, pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle restriction de liberté apparaisse, par exemple le blocage de l’accès à Wikipedia dans tout le pays, depuis samedi dernier. Erdogan concentre les pouvoirs, les craintes et les critiques d’une partie de la communauté internationale face à cette dérive autoritaire. Une dérive qu’osent encore dénoncer certains dans le pays même, malgré les risques. Reportage à Istanbul.

Chaque jour depuis le référendum, des opposants risquent la prison avec ce slogan : "Erdogan, voleur et assassin". Ils arpentent les rues escarpées du quartier de Besiktas ou se faufilent entre les terrasses animées du Kadikoy sur la rive asiatique du Bosphore. Aux fenêtres, les habitants affichent leurs soutiens en frappant sur des casseroles ou en leur jetant des fleurs.

"Le parti est revenu à ses origines, à sa base, l'islamisme radical". Rarement nombreux, ils ont tous la trentaine. Une génération d'adolescents quand Recep Erdogan arrive au pouvoir en 2003. Depuis cette date, Belkim voit son président changer progressivement de ton : "Au début, l'AKP a reçu le soutien des réformistes. La gauche, les démocrates et même l'Union européenne. Mais très rapidement, le parti est revenu à ses origines, à sa base, l'islamisme radical. Et quand ils ont compris qu'ils n'avaient plus besoin des autres... Quand Erdogan a vu qu'il avait tous les pouvoirs, qu'il contrôlait tous les médias, c'est là qu'il a montré son vrai visage".

Les hélicoptères de la police tournent autour de ces rassemblements. Les agents en tenue anti-émeute ne sont jamais très loin. Mais malgré les multiples attentats et l'état d'urgence dans le pays, la présence de soldats est quasi inexistante à Istanbul.

"Maintenant, il a tous les pouvoirs et il fait ce qu'il veut..." Avoir réussi à écarter la dictature militaire qui étouffait la Turquie dans les années 80, Ali, professeur, reconnaît que c'était une des victoires de Recep Erdogan. C'est aussi l'origine de sa dérive : "La plupart des gens en Turquie en avaient marre des gouvernements tenus par les militaires. Ils oppressaient le peuple. On a pu s'en débarrasser grâce au travail d'Erdogan. Une fois débarrassé de cet ennemi de l'intérieur, notre économie est devenue performante. Mais dans le même temps, Erdogan et son gouvernement ont poursuivi leur travail pour se débarrasser de tous les contre-pouvoirs. Maintenant, il a tous les pouvoirs et il fait ce qu'il veut..."

A mesure que ce référendum s'éloigne, la mobilisation s'essouffle. Le mouvement n'a pas pris, malgré la victoire étriquée de Recep Erdogan. Le signe d'une population résignée par les purges dans l'administration et par les vagues d'arrestations. Près de 140 interpellations ont encore eu lieu lors des défilés du 1er mai.