C’est un peu ce que les Anglais appellent la "perfect storm", la tempête parfaite, c’est-à-dire celle qui réunit tous les facteurs de dangerosité absolue. Cette grande grève est symbolique d’un triple danger, qui dépasse nettement le seul cadre (pourtant large) de l’école.
Le premier danger
Premier danger, celui de l’exaspération des Français face au Covid-19 et à ses contraintes, parce que ce variant Omicron vient nous cueillir à froid alors qu’on pensait pouvoir en avoir bientôt fini avec la cinquième vague et le variant Delta, parce que, même s’il est moins dangereux, sa contagiosité met au tapis un nombre impressionnant de gens et empêche qu’on puisse vivre cet épisode comme une méga-grippe, les Français ressentent de plus en plus un ras-le-bol.
Exaspération aussi face aux protocoles sanitaires successifs, dans les trains, les bars, et surtout les écoles avec des familles désarmées face à la frénésie de tests et des profs déstabilisés par la gestion des cas contacts. En quelques jours, les multiples aménagements des règles de vie scolaire sont devenus le symbole de tous les désagréments (j’aurais pu dire "de tous les emmerdements") imposés depuis 2 ans par le gouvernement et que nous devons supporter. Premier danger.
Le deuxième danger
A côté de l’exaspération publique, c’est celui de l’impasse stratégique. Très vite après le premier confinement, il y a 2 ans, Emmanuel Macron avait fixé une doctrine, immédiatement endossée par son ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer : celle de l’école ouverte. La France s’enorgueillissait, à juste titre, d’être un des pays où les écoles étaient restées le moins fermées, où les enfants avaient le moins payé le prix d’une déscolarisation et où (argument qu’il ne faut surtout pas utiliser sans risquer de provoquer les syndicats d’enseignants) l’économie avait pu le plus rapidement redémarrer.
Les parents étant libérés de la garde de leurs enfants à domicile. Cette stratégie est aujourd’hui en échec parce que le virus est incontrôlable. Des dizaines de milliers d’élèves sont maintenus à domicile, mais il n’existe aucun cours sur internet. Des milliers de classes restent ouvertes mais les profs manquent à l’appel. La contradiction entre école ouverte et isolement des élèves cas-contacts ou positifs est devenue ingérable. Et puis il y a, dans cette grève d’aujourd’hui, un troisième danger, celui de l’usure politique.
L'usure probable du ministre de l'Education nationale
Jean-Michel Blanquer détient un record : celui de la longévité pour un ministre de l’Education de la République. A plusieurs reprises, il n’a pas caché ses ambitions, il ne déteste pas sortir du cadre scolaire, par exemple pour sonner la charge contre l’esprit woke et la déconstruction de l’histoire par ceux qui veulent déboulonner les statuts, et puis, il a coché quelques-unes des réformes emblématiques de Macron, en particulier le dédoublement des classes de maternelle et le retour des savoirs fondamentaux.
Tout ça lui vaut quelques adversaires, des ennemis même : les syndicats, qui ont eu la peau de bien de ses prédécesseurs (enfin de ceux qui n’acceptaient pas de cogérer le ministère avec eux), l’opposition bien sûr (ça, c’est normal), et puis il collectionne de solides inimitiés dans la majorité, entre autres chez des ministres de gauche (lui vient de la droite).
Tensions au sein du gouvernement
C’est d’ailleurs avec l’autre ministre en charge de la crise Covid-19, Olivier Véran, que ça se passe le plus mal (ça a clashé, mercredi, avant le Conseil des Ministres). Tout ça est mauvais, très mauvais signe. Parce que ces tensions internes produisent elles-mêmes un buzz négatif, et que tout ça finit par créer un trouble politique qui pourrait faire oublier aux Français la bonne gestion de la crise sanitaire par le chef de l’Etat depuis 18 mois.
Emmanuel Macron a soutenu son ministre de l’Education, mercredi à l’Elysée et a voulu calmer le jeu. Il y a tout intérêt, parce qu’à 3 mois de l’élection présidentielle, les conséquences d’une crise durable sur le scrutin pourraient être immenses.