Le parquet financier de Paris persiste et réclame un procès pour les 14 personnes mises en examen dans l'affaire Bygmalion, parmi lesquelles figure Nicolas Sarkozy. Comme le révélait Europe 1 lundi matin, les magistrats ont requis, le 30 août, leur renvoi en correctionnelle pour le financement illégal de la campagne électorale de 2012. Ils suspectent l'ancien chef de l'État d'avoir dépassé le plafond des dépenses autorisé, d'avoir "omis de respecter les formalités d'établissement du compte de campagne" et d'avoir "fait état, dans le compte de campagne ou dans ses annexes, d'éléments comptables sciemment minorés".
Autrement dit, le parquet estime que Nicolas Sarkozy ne pouvait pas ne pas être au courant des dépassements des comptes de campagne, étant "le premier bénéficiaire" et "le principal donneur d'ordre". Les autres mis en examen, eux, sont soupçonnés d'escroquerie, de faux, d'abus de confiance ou encore de complicité de financement illégal.
Des délais trop longs. Cependant, il est très peu probable que Nicolas Sarkozy soit réellement inquiété juridiquement lors de la primaire puis, s'il l'emporte, dans la dernière ligne droite pour reprendre l'Élysée. La réquisition du parquet doit en effet être soumise aux deux juges d'instructions toujours saisis du dossier. Ils disposent d'un mois pour valider ce renvoi ou prononcer un non-lieu. Une fois leur ordonnance rendue, le parquet comme les mis en examen peuvent encore faire appel auprès de la chambre de l'instruction, ce qui rallongerait les délais. Nicolas Sarkozy et sa défense ont tout intérêt, si les juges d'instructions suivaient le parquet, à jouer la montre.
Pas de procès avant la présidentielle. La probabilité pour qu'un renvoi en correctionnelle intervienne avant la primaire de la droite, prévue les 20 et27 novembre, est donc très faible. Quand bien même cela se produirait, Nicolas Sarkozy ne serait pas inquiété avant la présidentielle car il faudrait encore fixer la date du procès. Or, les juges observent une "trêve" informelle en période électorale, afin d'éviter toute accusation d'ingérence dans le calendrier politique. Impossible, donc, d'imaginer une audience en pleine campagne présidentielle. Par la suite, si Nicolas Sarkozy est élu chef de l'État, il disposera de l'immunité présidentielle qui le préserve de toute poursuite judiciaire.
Un argument pour ses adversaires... Pour Nicolas Sarkozy, qui avait été mis en examen en février dernier, cette réquisition de renvoi en correctionnelle reste politiquement délicate à gérer. Elle tombe au moment où la campagne pour la primaire bat son plein et que certains de ses adversaires utilisent déjà ses ennuis avec la justice pour l'attaquer. François Fillon, notamment, a affirmé ce week-end lors de l'université d'été des Républicains que le "crédit" des institutions avait "été atteint ces dernières années par des affaires judiciaires". Une semaine auparavant, pour son discours de rentrée, il avait été plus virulent encore. "Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne devraient pas pouvoir se présenter devant les électeurs", avait-il asséné. "Il ne sert à rien de parler d'autorité quand on n'est pas soi-même irréprochable. Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?"
…mais difficile à manier. Cette décision du parquet pourrait donc donner de nouveaux angles d'attaque aux rivaux de Nicolas Sarkozy. Mais à part François Fillon, qui a fait du "tout sauf Sarkozy" l'une des lignes directrices de sa campagne, il n'est pas certain que les autres candidats à la primaire en profitent pour dénigrer l'ancien président. "Cet argument, c'est de la nitroglycérine à droite", analyse Jean-Sébastien Ferjou, directeur d'Atlantico, sur Europe 1. Pour l'utiliser, il faudrait que les concurrents de Nicolas Sarkozy "soient sûrs de le tuer. Car s'ils expliquent que c'est un homme dont la probité est mise en cause, il sera difficile [pour eux], s'il gagne la primaire, de se rallier à lui".
Pour le moment, les candidats à la primaire refusent d'ailleurs de réagir. "Je n'ai aucun commentaire à faire sur cette décision de justice", a tranché Alain Juppé, qui n'a pu échapper aux journalistes pendant une conférence de presse prévue lundi de longue date. "Je vous rappelle que dans le cadre du code de bonne conduite, auquel je suis très attaché, je veux m'abstenir de toute attaque personnelle."
Sarkozy profite du "tous pourris". Pas sûr non plus que la décision du parquet pèse dans la balance électorale, dans la mesure où l'opinion considère de toute façon que le personnel politique est corrompu. "Quand on interroge les Français spontanément sur leur perception du personnel politique, on obtient 80% de réponses très négatives", rappelle Frédéric Micheau, directeur du département opinion et politique d'OpinionWay. "Sur la question très précise de la probité des élus et des responsables politiques, vous avez trois quarts des Français qui considèrent qu'ils sont malhonnêtes." Dans ce contexte, une affaire de plus ou de moins peut ne perturber qu'à la marge la cote de popularité de l'ancien chef de l'État. Surtout qu'"en France, on a un trait culturel très spécifique par rapport à ces questions, avec plutôt une grande indulgence de l'électorat".
Acharnement. Pour Frédéric Micheau, il est même possible que Nicolas Sarkozy tire un bénéfice de l'annonce du parquet. L'ancien président est en effet aussi mis en examen dans une autre affaire, celle des écoutes et du trafic d'influence auprès du juge Gilbert Azibert. Or, "dans cette accumulation d'affaires, il peut y avoir deux effets très contradictoires : celui de renforcer la perception de la culpabilité de Nicolas Sarkozy, ou celui de donner de la matière à l'idée de l'acharnement contre le candidat", souligne le directeur d'OpinionWay.
"Manœuvre politique grossière". Les avocats et les soutiens de l'ancien président l'ont bien compris. "Cela démontre une fois encore la manœuvre politique grossière, l'acharnement, voire le mépris du respect du code de procédure pénale", a réagi Me Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy. Son porte-parole de campagne, Éric Ciotti, a dénoncé sur FranceInfo "une concordance des temps, à l'heure où débute le procès de Jérôme Cahuzac, qui ne peut pas relever du hasard". Oubliant un peu vite que l'enquête sur l'affaire Bygmalion ayant pris fin début juin 2016, le parquet a simplement respecté le délai de trois mois qui lui était accordé pour donner ses réquisitions.