C'est le principal point de crispation entre les syndicats dits réformistes et le gouvernement en plein mouvement de contestation contre la réforme des retraites. L'âge pivot, que l'exécutif veut instaurer et fixer à 64 ans pour pouvoir bénéficier d'une pension à taux plein, est encore au centre des discussions vendredi entre les organisations syndicales et le Premier ministre. Alors que Matignon leur a remis un document indiquant que la mesure permettrait d'économiser trois milliards d'euros d'économies dès 2022 et 12 milliards en 2027, Emmanuel Grimaud, président et fondateur de Maximis Retraite, société spécialisée en optimisation de retraite, décrypte les enjeux autour de ce très controversé point de la réforme.
L'âge pivot déjà en place à l'Agirc-Arrco
Avant toutes choses, Emmanuel Grimaud rappelle que l'âge pivot est déjà mis en place, depuis un an, dans le calcul des retraites complémentaires des salariés du privé qui relèvent de l'Agirc-Arrco. "Il est trop tôt pour en faire un constat, il faut attendre juin-juillet pour plus de visibilité et constater l’effet sur le report des dates de départ", estime le président de Maximis Retraite. La retraite Agirc-Arrco concerne la quasi-totalité des salariés de l’industrie, du commerce, des services et de l’agriculture.
Le spécialiste ajoute : "Il y a un décalage naturel de l’âge des départs. Les entreprises vont nécessairement faire travailler les gens plus longtemps. On peut arriver à un âge de départ à 64 ans sans imposer des contraintes. L’âge pivot dans sa version actuelle dès 2022 est quand même très sévère".
Prenons un exemple concret. Une personne part à la retraite l'année prochaine, en 2021, avec 2.000 euros de retraite par mois. Son collègue, avec qui il travaille depuis 35 ans et qui partira cinq ans plus tard, perdra 200 euros de retraite par mois, soit 2.400 euros sur l'année, avec l'âge pivot. "Encore une fois, il faudra travailler plus longtemps avec l'espérance de vie qui s'allonge, mais il faut étaler cette mesure dans le temps", analyse Emmanuel Grimaud. "Je pense que l'on peut attendre deux ou trois ans pour voir comment évolue le système", dit l'expert. "L'imposer dès maintenant à l'échéance 2022-2027 est extrêmement sévère et rapide".
Le régime du secteur privé "grosso modo à l'équilibre"
Emmanuel Grimaud répond aussi aux craintes de certains qui estiment qu'avec l'âge pivot, un départ à la retraite à 62 ans par exemple, soit deux ans avant l'âge pivot fixé à 64 ans, entraînerait une baisse des cotisations, c'est-à-dire une pension minorée pour le retraité.
Nouvel exemple du fondateur de Maximis Retraite : "Ce n’est pas pareil entre quelqu’un qui commence à travailler à 17 ans et quelqu’un qui a fait des études longues et commencé à 27 ans et qui aura, effectivement, une pénalité. L’âge pivot est un incitatif. C’est pourquoi les résultats de 2019 vont être intéressants pour voir dans quelle mesure l’âge pivot à l’Agirc-Arrco a eu un impact sur l’âge de départ à la retraite".
Pour rappel, sur les 300 milliards d’euros de retraites versées chaque année, 200 milliards proviennent du régime salarié du secteur privé classique. "Ce régime-là est, grosso modo, à l’équilibre. Il n’y a pas d’urgence ou de catastrophe", rappelle Emmanuel Grimaud. "Côté régimes spéciaux et les autres 100 milliards, il y a environ 7,5 milliards d’euros de déficit", précise-t-il.
Il conclut : "Cette réforme, étant donné les derniers développements, va coûter beaucoup plus cher que prévu, c’est une certitude. On parle de 80 milliards d’euros répartis sur 20 ans, soit 4 milliards d’euros par an. Cela correspond à 1,5% du montant total des sommes versées pour les retraites. C’est beaucoup d’argent mais il n’y a rien de catastrophique et il n'y a pas d'urgence".