Les femmes doivent être libres de conserver leurs ovocytes pour pouvoir procréer plus tard. Pour la première fois, l’Académie de médecine préconise dans un rapport "l’autoconservation des ovocytes" pour les femmes qui le souhaitent, en prévision d'éventuels problèmes de fertilité après leurs 35 ans. En clair, elles devraient pouvoir donner leurs ovocytes avant leurs 35 ans, afin de pouvoir effectuer une fécondation in vitro à un âge plus avancé, lorsque les risques d’infertilité sont plus élevés. Cet avis, purement consultatif, arrive quelques jours seulement avant celui du Comité consultatif national d'éthique, attendu pour la fin juin. Dans le milieu scientifique, cette idée d’autoriser "l’autoconservation des ovocytes" fait son chemin et pourrait bientôt devenir une réalité. Mais que changerait-elle vraiment ? Décryptage en cinq questions.
Que dit la loi aujourd’hui ?
Aujourd'hui, cette "autoconservation des ovocytes" est autorisée France pour les femmes qui souffrent de certaines maladies susceptibles d’altérer le système reproductif, comme une insuffisance ovarienne prématurée ou l’endométriose. Depuis un décret d’octobre 2015, les femmes qui effectuent des dons d’ovocytes pour aider les autres sont également autorisées à en conserver une partie pour elles-mêmes… à condition que la demande de dons soit satisfaite. Or, ce n’est presque jamais le cas en France : l’Agence de la biomédecine estime qu’il faudrait environ 900 donneuses supplémentaires par an pour couvrir la demande.
Ces conditions sont "pratiquement irréalisables et contraires à la déontologie médicale", commente l’Académie de médecine dans son rapport, qui dénonce une pratique "qui peut être perçue comme un chantage ou comme un leurre ". "Compte tenu de la priorité accordée au don, les chances de ces donneuses de conserver des ovocytes pour elles-mêmes sont quasi nulles", renchérissent les scientifiques.
Que propose l’Académie de médecine ?
L'Académie recommande que les femmes puissent se faire prélever leurs propres ovocytes jusqu'à 35 ans (ensuite, leur qualité baisse) afin de les conserver. Le but : les utiliser plus tard, si besoin, dans le cadre d'une PMA (procréation médicalement assistée). L’idée est qu’une femme qui ne souhaite pas avoir d’enfant avant 35 ans puisse le faire à un âge plus tardif, même si elle n’est pas malade. Aujourd’hui, 5% des accouchements concernent des femmes de 40 ans, contre seulement 1% dans les années 1980. Or, la fertilité chute fortement après 35 ans : le taux de conception naturelle à douze mois passe de 75,4% à 30 ans à 66% (35 ans) puis à 44,3% (40 ans). Un phénomène qui doit pousser la loi à évoluer, selon l’Académie.
" Le principe d’autonomie des femmes devrait être respecté "
"Le principe d’autonomie des femmes devrait être respecté, sans paternalisme médical ni jugement moral, pour pallier les conséquences de l’infertilité liée à l’âge, pour les femmes qui à 35 ans n’ont toujours pas de partenaire stable, ou qui optent temporairement pour des choix de vie sans maternité immédiate", écrit le gynécologue Jacques Milliez, rapporteur du texte. La demande de conservation devrait être réservée aux femmes majeures, "sous réserve d’une information exhaustive sur les méthodes, leur coût, sur l’âge recommandé du recueil, avant 35 ans, et l’âge d’utilisation ultérieure des ovocytes, avant 45 ans", précise l’Académie.
Existe-t-il un "business" de la fertilité en Europe ?
La France est, avec l’Autriche et Malte, le seul pays de l’Union européenne à interdire l’autoconservation des ovocytes. L’objectif de l’Académie est précisément de limiter la marchandisation d’ovocytes hors de France. "La demande (d'autoconservation des ovocytes) semble avoir considérablement augmenté en Europe depuis quelques années", note le rapport. "Il existe un mercato européen de la congélation d'ovocytes dans un but lucratif. Les Françaises doivent y avoir accès de manière légale et contrôlée", a fait valoir le professeur Philippe Bouchard lors d'une conférence de presse de présentation du rapport de l’Académie, lundi à Paris.
" Les prix varient de 2 500 euros comme en Grèce à plus de 12 000 euros en Espagne "
L'institut espagnol IVI (Institut de Valence contre l'Infertilité) a par exemple enregistré 42 demandes françaises en 2015 pour cet acte facturé plusieurs milliers d'euros. "L'Espagne, la Belgique, la Grèce, la République tchèque, l'Ukraine… proposent des formules tout compris avec bébé à la clé", pouvait-on lire dans une enquête du Figaro, en 2009. "Les prix varient de 2 500 euros comme en Grèce à plus de 12 000 euros en Espagne où la loi de la demande fait monter les prix. Une quarantaine de cliniques privées sont présentes sur le Web et proposent leurs services dans plusieurs langues. Sur le marché américain, des sites Internet offrent même des packages ‘All inclusive’ FIV et détente pour 10 000 dollars pour une intervention en Moravie", poursuivait Le Figaro.
Combien coûterait une autorisation en France ?
Pour la France, les estimations varient ainsi entre 3.000 euros et 6.000 euros pour une autoconservation. Un chiffre bien loin des 12.000 euros que l’on peut trouver en Espagne, et qui pousse les académiciens à vouloir revoir la législation. Reste une question : qui devra payer ? L’Académie de médecine ne tranche pas. Elle constate que la majorité des opinions de scientifiques penchent pour que le coût revienne aux femmes concernées. Mais elle fait également remarquer que l’autoconservation volontaire du sperme (moins coûteuse) peut aujourd’hui être prise en charge à 80% par l’assurance maladie.
L’Académie de médecine a-t-elle une chance d’être écoutée ?
L’Académie de médecine n’est pas la première instance scientifique à se prononcer en faveur d’une telle mesure. Comme le rappelle Slate, la "Société Européenne de Fertilité Humaine et d’Embryologie (ESHRE) soutient et justifie l’autoconservation des ovocytes de l’infertilité liée à l’âge" et "depuis 2011 le Collège National français des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) a pris position en faveur de cette démarche".
Tout dépend désormais de l’avis du Comité consultatif national d'éthique (attendu pour la fin juin), qu’Emmanuel Macron a déclaré vouloir "attendre" avant de s’engager sur certains sujets de bioéthiques. Par le passé, le Comité s’est montré très conservateur sur ces sujets. Mais sa composition a été profondément renouvelée l’an dernier. Et la nouvelle instance est jugée plus "progressiste" et "libérale" par certains observateurs. Dans une interview au magazine Famille Chrétienne, le président du Comité, le professeur Jean-François Delfraissy, ne cachait pas son ouverture : "Je suis de ceux qui pensent que l’éthique évolue. Même sur les fondamentaux éthiques, les choses bougent", déclarait-il. Et de conclure, en restant vague : "Si l’on considère que certaines grandes questions d’éthique sont très liées à l’évolution de la société, il est logique que les réponses qui sont apportées puissent ne pas être inscrites dans le marbre".