«C’est mafieux» : alerte aux vols de bois dans les forêts privées de France
Alors que près de 75% de la forêt française appartient à des particuliers, depuis quelques années, de plus en plus de propriétaires sont victimes de vol d’arbres, notamment de chênes, revendus à des prix très élevés sur le marché mondial. Partout sur le territoire, ces larcins se multiplient.
Les coupes sauvages d’arbres dans le cadre de trafics de bois se multiplient en France. Les chênes sont particulièrement convoités, leur cours sur le marché mondial ayant explosé ces dernières années. Les victimes de ces pillages sont bien souvent des propriétaires particuliers de parcelles : ils sont 3,5 millions en France.
"La perte est dure à avaler"
Cette petite parcelle de forêt près de la commune d’Hettange-Grande, en Moselle, appartient à la famille d’Alain Nowak depuis quatre générations. Fin décembre, il découvre atterré que deux de ses chênes centenaires ont été tronçonnés et volés. "Mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père ont travaillé là pour nettoyer cette forêt et la protéger. Alors la perte est quand même dure à avaler", soupire-t-il, sans même parler du préjudice économique que ce vol de bois représente.
Alain Nowak a tant bien que mal réussi à contacter la propriétaire de la société qui a illégalement coupé ses arbres. "Elle m’a simplement dit de laisser faire le long cours de la justice", souffle-t-il, écœuré.
"Derrière tout cela, il y a des gens qui se font énormément d’argent"
Les vols sauvages de bois se multiplient en France depuis quelques années, même s’il est difficile de les dénombrer précisément puisque peu de victimes vont jusqu’à porter plainte. Des pillages ont notamment été signalés dans l’Hérault, la Meuse, les Vosges, l’Aube, ou encore la Haute-Marne.
"Derrière tout cela, il y a des gens qui se font énormément d’argent" déplore Didier Daclin, président de Fransylva 57 (Moselle), la Fédération des Syndicats de Forestiers Privés de France. À demi-mot, il évoque un système "mafieux" qui cause des dégâts considérables dans les forêts françaises.
Trois types de vols ou d’escroquerie
"Il y a selon moi trois types de vols", énumère Didier Daclin. "Le premier, c’est l’escroquerie, l’abus de personnes âgées. On leur propose un prix ridicule pour une parcelle de forêt et on va harceler ce propriétaire d’un certain âge jusqu’à ce qu’il dise oui. On va acheter en gros au tiers de la valeur", estime-t-il. "Ensuite il y a le vol par dépassement de limites : la société achète une parcelle et va systématiquement prélever quelques arbres chez les voisins".
Il y a enfin un dernier type de vol "plus dur, qui rapporte beaucoup plus et qui est très bien organisé", poursuit Didier Daclin : "la coupe rase". Là encore, des entreprises malveillantes "repèrent les propriétaires qui sont souvent très âgés ou qui sont éloignés géographiquement et vont piller leur forêt, couper tous les arbres". "Ce ne sont pas des voleurs du dimanche mais des gens qui s’y connaissent très bien et qui ont de gros moyens", tient-il à préciser.
Un préjudice économique, écologique et moral
Les conséquences de ces vols d’arbres sont multiples. "Il y a d’abord l’aspect économique que tout le monde imagine bien", commence Didier Daclin, estimant qu’un chêne entier peut se vendre "entre 500 euros et 1000 euros" sur le marché mondial du bois. "Il y a ensuite un préjudice écologique très important : quand on coupe à blanc ces parcelles, on se prive d’un puits de carbone, d’une production d’oxygène", déplore-t-il.
"Enfin, il y a le drame moral, psychologique, parce que ces parcelles sont transmises de générations en générations. On préserve ces forêts parce que c’est la mémoire de la famille qui est enracinée sur le territoire. Et quand on vient piller ces forêts, on vient arracher la mémoire de cette famille", conclut-il rageusement.
"Ces types y vont impunément, ils savent qu’ils ne craignent rien"
La plupart du temps, après un vol de bois, la Justice "ne suit pas" soupire Didier Daclin. "Bien souvent l’exploitant fautif dit simplement "on va s’arranger" au propriétaire forestier lésé", si tant est que ce dernier arrive à retrouver le responsable du pillage. "Cela veut dire qu’il n’y aura pas de publicité, pas de procès et surtout pas de punition" regrette amèrement Didier Daclin. "Ces types y vont impunément, ils savent de toute façon qu’ils ne craignent rien".
Fransylva demande donc au gouvernement de s’emparer du problème et de créer une cellule dédiée aux vols de bois. "Qu’ils mettent en place une plateforme pour signaler ces incidents. Il faut que nos services de police et de justice se rendent compte de la portée de ces actes et que les sanctions soient à la hauteur du préjudice", martèle Didier Daclin.