Le couperet est tombé : la France reste dans le ventre mou du classement Pisa, derrière l’Estonie, la Slovénie, le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique la Pologne ou l'Irlande, et très loin derrière les pays asiatiques. En "culture scientifique", la France, dans le top 15 au début des années 2000, s’est engluée à la 27e place sur 72 en 2015, selon cette enquête comparative des performances scolaires, publiée mardi par l’OCDE. Les élèves français stagnent également dans la compréhension de l’écrit (19e place) et ils perdent quatre points en mathématiques (25e place), alors qu’ils étaient encore 12e en 2003. Aussi, et surtout, la France se distingue une fois encore par le poids de l'origine sociale sur les résultats de ses enfants (les détails dans notre article ici).
>> Qui est responsable de ces échecs ? Comment expliquer que la France soit distancée par la plupart de ses voisins ? Eléments de réponse.
Le bilan Pisa du quinquennat Hollande n’est pas encore fait. Annie Genevard, déléguée générale pour l'éducation au parti Les Républicains, a dénoncé mardi l'"échec" de la ministre de l’Education actuelle, Najat-Vallaud Belkacem. Elle en appelle ainsi "à revenir à une politique éducative centrée sur la transmission des savoirs fondamentaux: lire, écrire, compter, calculer et connaître l'histoire de son pays". Mais en réalité, le bilan Pisa du quinquennat Hollande (et de ses trois ministres de l’Education, Vincent Peillon, Benoît Hamon et Najat Vallaud-Belkacem) n’est pas encore fait.
En effet, l’OCDE a adressé son questionnaire à des élèves qui avaient 15 ans en 2015. Ils avaient un peu plus de 12 ans au moment de l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République. Ils n'ont donc pas pu être impactés par la réforme des rythmes scolaires, mise en place entre 2013 et 2014, ni par la réforme de la formation des professeurs des écoles, puisque cela ne concerne que l'école primaire (l'étude TIMSS sur des élèves de CM1, publiée fin novembre et révélant une chute vertigineuse du niveau de nos élèves en mathématiques et en sciences, pouvait, elle, dresser un premier bilan de ces mesures). Les participants à Pisa n'ont pas été impactés non plus par la refonte des programmes et la réforme du collège, qui ne sont entrées en vigueur que cette année.
Une conséquence de la dévalorisation du métier d’enseignant ? Les élèves qui ont passé Pisa 2015 sont donc plutôt des "enfants" du quinquennat précédent, lors duquel a été mise en œuvre une diminution du nombre de fonctionnaires ou encore la fin de l’année d’alternance dans la formation des enseignants. Or, cette politique, venue accompagner une baisse du pouvoir d’achat des enseignants depuis 1995, a pu avoir son importance.
En effet, selon Gabriela Ramos, directrice de Cabinet du Secrétaire général de l’OCDE, la valorisation du métier d’enseignant est un élément commun à presque tous les pays qui trustent le haut du tableau. "Les enseignants y sont évalués très régulièrement, bénéficient d'une formation initiale très développée. Ces pays ont aussi un niveau d'ambition et d'évaluation très intéressants", décrypte-t-elle mardi. Et d’ajouter : "Ils sont aussi très exigeants avec les élèves et font réussir les plus faibles".
" Si on regarde bien, la France n’a pas tant baissé que ça "
Une politique "du 19e siècle". Selon de nombreux spécialistes, toutefois, les différentes politiques de ces dernières décennies et celles lancées sous le quinquennat Hollande n’ont, au mieux, que des effets à la marge. Car c’est un bouleversement total de la méthode d’enseignement qui a permis aux autres pays de s’arroger les premières places du classement.
"On reste en France dans un monde qui est plutôt du 19e siècle", tacle sur Europe 1 Peter Gumbel, journaliste et enseignant anglais, auteur d'On achève bien les écoliers. "Il y a une façon d’apprendre propre à la France, avec beaucoup de ‘par cœur’. Les élèves ne travaillent pas beaucoup en groupe ce qui, partout ailleurs, est la façon d’apprendre. Il n’y a, dans les classes françaises, pas de participation active des élèves. Nous sommes dans l’idée d’avoir le prof, qui transmet le cours magistral, avec des enfants plutôt passifs. Nous n’avons jamais changé la donne", poursuit le journaliste, qui brandit l’exemple de Singapour, en tête du classement : "là-bas, on donne la question, les élèves travaillent en groupe et cherchent la bonne réponse. Dès qu’un élève l’a, il l’explique aux autres et tout le monde discute. Il y a clairement une différence avec la passivité française".
"La France n’a pas tant baissé que ça !" Pour la sociologue Marie Duru-Bellat, interrogée par Europe 1,"si la France perd des places, c’est aussi parce que les autres montent !". En clair, les différentes politiques menées en France n’ont certes pas permis de hausse dans le classement. Mais elles ont tout de même empêché une baisse. "Si on regarde bien, la France n’a pas tant baissé que ça. En outre, on voit que les pays qui se convertissent au collège unique (Pologne) ou qui diminuent le nombre de redoublement (Portugal) font des bonds dans le classement. Or, ce sont des mesures que la France a déjà intégré depuis longtemps", remarque la sociologue émérite spécialisée dans les questions d’éducation.
Qu’est-ce que ces pays ont donc de plus que nous ? "Il n’y a aucune cause mécanique. Mais on observe qu’il y a chez certains pays bien placés une culture pédagogique bien ancrée, avec une formation continue des enseignants très riche (à Singapour ou dans les pays d’Europe centrale par exemple) qu’il n’y a plus en France", poursuit la sociologue.
" Les derniers programmes de 2016 manquent de précisions "
Que va donner le classement 2019 ? Reste une question : peut-on anticiper l'impact sur le prochain Pisa (dans trois ans) des réformes lancées sous le quinquennat Hollande ? Réforme des collèges, recentrage des programmes sur les fondamentaux, embauche de fonctionnaires… L’OCDE y voit des mesures "en phase avec les recommandations que fait l'OCDE depuis 20 ans". Les réformes éducatives portent leurs fruits "sur le temps long", rappelle ainsi Eric Charbonnier, spécialiste éducation au sein de l'OCDE. Pour Marie Duru-Bellat, toutefois, "tout cela n’aura que peu d’impacts sur Pisa. En revanche, on peut se réjouir de la politique de redéfinition de la carte scolaire impulsée par la ministre. Cela peut contribuer à réduire l’écart entre les établissements".
Pour d’autres, néanmoins, si les intentions sont bonnes, le risque est que les réformes soient inapplicables en l’état. "Les maîtres ont besoin d'indications plus précises. Ils veulent savoir ce qu'un enfant doit apprendre en CE1, puis en CE2, etc. Et les derniers programmes de 2016 manquent de précisions", raille ainsi Michel Fayol, professeur émérite et membre du Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive, interrogé par Le Figaro. Et d’ajouter : "nous avons besoin d'outils d'évaluation pour identifier de façon fine quelles sont les difficultés des élèves. Or, les évaluations ont été supprimées à la fin du précédent quinquennat, en 2012. Il nous faut un thermomètre!".
Attention à l'interprétation. Les spécialistes s’accordent tout de même sur une chose : il est difficile d’interpréter Pisa. Une cause dans un pays n’entraînera pas forcément le même effet dans un autre. "Ce que l’on peut redouter le plus est donc bien finalement que l’on tombe dans une lecture partisane des résultats de l’enquête", résume Charles Hadji, Professeur émérite en Sciences de l’éducation, dans un article pour The Conversation. Et de conclure : "Ce risque devient majeur quand l’on veut interpréter les données produites en recherchant des causes dans l’axe d’un questionnement sur les responsabilités. C’est alors la porte ouverte à tous les raccourcis, et à toutes les interprétations sauvages, dans des grilles de lecture imprégnées d’idéologie".