En matière de légalisation du cannabis à des fins récréatives, il y a les opposants farouches, les partisans zélés, et les pragmatiques. C’est dans cette dernière catégorie qu’il faut sans doute ranger les auteurs d’un rapport publié jeudi et qui étrille 50 ans de politiques gouvernementales.
Ces économistes, membres du Conseil d'analyse économique (CAE), un think-tank rattaché aux services du Premier ministre, avancent plusieurs arguments sur le plan strictement financier, pour "reprendre le contrôle" face à l'"échec" de la répression. Leur idée-force : légaliser le cannabis serait extrêmement bénéfique pour les caisses de l’Etat.
Le constat : une politique du tout-répressif inefficace…
Le rapport n’est pas tendre, c’est peu de le dire, avec les politiques gouvernementales mises en place depuis 50 ans pour lutter contre la consommation du cannabis en France. "Le système de prohibition promu par la France depuis 50 ans est un échec", estiment les auteurs de la note, Emmanuelle Auriol et Pierre-Yves Geoffard. Malgré une législation parmi les plus répressives du Vieux continent, la France est championne d'Europe de la consommation de cannabis, avec un usage "préoccupant" chez les mineurs. "La prohibition a favorisé l'expérimentation du cannabis du fait de sa très grande disponibilité, et cela en dépit d'investissements massifs dans la répression", ajoutent-ils, en dénonçant la "politique du chiffre". Depuis 1970, le nombre d'interpellations pour usage simple "a été multiplié par 50".
Au contraire, la légalisation permettrait "à la fois de lutter contre le crime organisé, de restreindre l'accès aux produits pour les plus jeunes et de développer un secteur économique, créateur d'emplois et de recettes fiscales", selon le document.
…Et qui coûte cher
Car pour l’heure, force est de constater que la lutte contre le cannabis coûte très cher, et ne rapporte rien, ou si peu. Sur un an, l'État dépense "568 millions d'euros" contre le cannabis, dont 70% consacrés aux actions des forces de l'ordre et 20% aux services judiciaires et pénitentiaires, calculent les auteurs du rapport. Qui pointent aussi que seuls 10% de cette somme financent la prévention, les soins et la recherche.
Une manne fiscale potentielle
Surtout, le CAE a estimé les retombées économiques d'une telle légalisation pour les caisses de l’Etat. Sur l'hypothèse d'une consommation annuelle de cannabis de 500 à 700 tonnes par an, et sur la base d’un prix final de neuf euros pour un gramme d'herbe, les économistes estiment qu'une légalisation pourrait apporter des recettes fiscales entre 2 et 2,8 milliards d'euros. Elle pourrait en outre créer entre 27.500 et 80.000 emplois.
Cette manne fiscale, les économistes du CAE recommandent de la réinvestir dans la prévention, les quartiers populaires et la lutte contre le trafic. "Bien qu'on les oppose généralement, légalisation et répression sont des politiques publiques complémentaires", remarque le document.
Un contrôle accru de l'Etat
Le CAE recommande une légalisation accompagnée d'une interdiction de vente aux mineurs. Pour cela, les économistes souhaitent une "gestion étatique centralisée" comme en Uruguay ou au Québec. Concrètement, l'État délivrerait des licences à des "producteurs et distributeurs agréés", comme pour le tabac. Mais contrairement à la cigarette, le cannabis serait vendu dans des boutiques spécialisées, interdites aux mineurs et plus faciles à surveiller.
Ce système serait chapeauté par une "autorité administrative indépendante" chargée de réguler le marché et de créer les conditions pour assécher le marché noir en assurant une production suffisante, de bonne qualité, à un prix suffisamment bas. Neuf euros le gramme donc, quand le prix actuel au marché noir est en moyenne de 11 euros. "En articulant prévention, répression, promotion et contrôle de la filière, on peut faire mieux à la fois en termes de santé publique, de protection des mineurs et d'intérêts économiques", conclut le rapport.
Une chance d’être entendue ?
Voilà pour les propositions donc. Mais malgré la proximité du CAE avec Matignon, et malgré la résurgence du débat dans les allées du pouvoir, par la grâce d’une tribune publiée jeudi dans L’Obs, il y a encore un long chemin à parcourir avant de voir des boutiques de cannabis fleurir sur le territoire français. Au début de son mandat, Emmanuel Macron a plutôt durci la politique en la matière, en écartant la dépénalisation et instaurant une amende de 200 euros pour les petits consommateurs.
Et du côté des services du Premier ministre, il n'y a pas lieu à débat, alors qu'Édouard Philippe vient d'annoncer que la lutte antistupéfiants serait une "priorité". Le gouvernement reste clairement opposé à la légalisation du cannabis", a tranché son cabinet.