Le constat est unanime : l’obésité augmente partout dans le monde. Selon l’OMS, depuis 1975, le nombre de cas d’obésité a presque triplé à l’échelle planétaire pour atteindre un milliard de personnes en 2022 (The Lancet). La France n’y échappe pas - 17 % en 2020 contre 8,5 % en 1997 (Inserm) – et les prévisions sont alarmantes : en 2030, 25 à 29% de la population française sera en situation d’obésité. Alors se dirige-t-on, à terme, vers une société d’obèse ? Europe 1 pose la question.
"L’industrialisation de l’alimentation"
Responsable de près de 60.000 décès par an en France, l’obésité pose un véritable problème de santé publique estimé à 10,6 milliards d’euros par an. Passé, le constat, comment en est-on arrivé là ? "J’ai l’habitude de dire que l’obésité a commencé dès l’installation du premier MacDo", déclare Annick Fontbonne, épidémiologiste à l’Inserm, qui ne pointe pas seulement la chaîne de fast-food comme responsable de l’obésité grandissante, mais plus globalement de "l’adoption d'une alimentation industrielle, occidentale basée sur des produits ultra transformés".
Des produits "appauvris en fibres, en protéines, en vitamines au profit du gras, du sel, du sucre et d'additifs qui affectent de manière durable l'organisme", poursuit Marion Sarroca, directrice adjointe de la Ligue contre l’Obésité. Le tout boosté par une forte pression marketing, dont les jeunes sont les premières victimes : "La promotion de la malbouffe sur les réseaux-sociaux, l’explosion de Ubereats, jouent certainement dans l'épidémie d'obésité actuelle, selon Annick Fontbonne. "Si elle a plus que doublé chez les adultes en 30 ans, elle a quadruplé chez les 5-19 ans".
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Les jeunes, mais aussi les classes populaires. "Le taux d'obésité chez les cadres en 2020 est à 10 % contre 20% chez les ouvriers-employés. Il y a donc une disparité liée à la classe sociale", constate Cédric Moro, directeur de recherche à l’Inserm, du fait d’une alimentation ultra-transformée moins coûteuse : "Aujourd’hui ça coûte plus cher de manger des légumes qu'une pizza surgelé". Un phénomène accru par la baisse du pouvoir d'achat des ménages "plus à même de se diriger vers des produits moins chers". Ajouté à cela le manque de temps, "qui pousse à consommer davantage de plats transformés, poursuit Marion Sarroca, dans une société ou la sédentarité s’est généralisée".
En effet, être assis derrière un bureau toute la journée n’est pas anodin. "Il faut faire 5000 pas par jour pour ne pas être sédentaire et plus de 7500 pour être considéré comme actif. Je n’en fais que 2.500 à 3.000 certains jours. On est loin du compte", reconnaît Cédric Moro qui s’inquiète aussi pour les nouvelles générations, nées l’écran à la main : "Dans certaines familles les enfants passent des week-ends entiers devant les écrans sur le canapé au détriment du plein air et de l’activité physique". Cumulé à une alimentation riche en calorie, "le déséquilibre chronique de la balance énergétique" entraîne une prise de poids au fil des mois voire des années.
Demain tous obèses ?
Le cumul de tous ces facteurs et les prévisions à long terme font craindre le pire. "On suit la même évolution que les États-Unis et le Canada. Si rien n’est fait, on se dirige tout droit vers une société d’obèses", s’inquiète Cédric Moro, sans pour autant se résigner. Une partie de la solution viendrait selon lui de la transition écologique, "qui pousse les gens à favoriser la marche ou le vélo au détriment de la voiture". Une prise de conscience qui passe aussi par l’éducation à la bonne alimentation : "Se faire plaisir en allant au Fast-food, ce n’est pas grave, au contraire. En revanche, il faut avoir en tête ce qu’est une alimentation saine. Apprendre à lire les étiquettes et connaître la composition des aliments", suggère Marion Sarroca. "Je me dis que dans 10 ou 15 ans, quand un parent donnera un coca à son enfant, on aura la même impression que lorsqu’il lui donnait une cigarette il y a 30 ans", complète Annick Fontbonne.
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Un changement de mentalité qui s’opère aussi à l’encontre des personnes en situation d’obésité. "Dans l’imaginaire collectif, une personne est obèse parce qu’elle manque de volonté, ne fait pas de sport et donc le mérite", d’après Marion Sarroca. Une attitude "grossophobe" et contre-productive. Les personnes se renferment sur eux-mêmes, font moins d’activité physique, mangent plus et entrent dans un cercle vicieux : "Des enfants arrêtent le sport parce qu’on se moque d’eux dans la cour à cause de leur surpoids. Et je ne parle même pas des réseaux sociaux, où l’apparence joue énormément", illustre la directrice adjointe pour qui l’obésité doit être considérée comme "une maladie chronique et non un choix", qu’on doit soigner.
Plus globalement, la lutte contre l’obésité passe indéniablement par des politiques publiques. Les gouvernements sont les seuls à pouvoir influer sur l’industrie agro-alimentaire, le marketing et la grande distribution "puisqu’ils ont, entre autres, les moyens de taxer les aliments ultra-transformés", selon Cédric Moro, qui prend l’exemple du nutri-score, "une bonne mesure". Un chemin semé d'embûches, "face à la pression des lobbies", mais loin d’être insurmontable quand est mis en évidence le poids que représente l’obésité en matière économique. "Si par des campagnes de prévention on arrive à diminuer ce fardeau, la société va gagner des milliards d’euros. Un argument qui peut peser dans la balance afin d’endiguer ce fléau", espère le directeur de recherche.