Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Une affaire de fromage et de biodiversité, ce matin. Le camembert et le roquefort pourraient disparaître de nos plateaux de fromage. Ils sont menacés d’extinction. Et c’est peut-être la science des bactéries qui les sauvera.
Une histoire passionnante rapportée par le Journal du CNRS. Ou quand la recherche change notre regard sur le quotidien. L'article raconte comment la domestication des moisissures qui servent à la fermentation de ces fromages a conduit à leur lente dégénérescence et comment, si on ne fait rien, on ne pourra plus s’en servir.
Les bactéries sont épuisées ?
C’est un peu ça. Pour fabriquer le roquefort, on utilise une espèce de champignon qui s’appelle Penicilium roqueforti. Les humains, depuis qu’ils ont appris à fabriquer ce fromages bleus, ont sélectionné quelques souches seulement de cette moisissure. Celles qui donnaient le fromage le plus attrayants, avec le meilleur goût. Les plus sûres aussi, celles qui ne produisent pas de substances toxiques. Et puis, celles qui poussaient rapidement sur le fromage pour ne pas laisser la place à d’autres bactéries indésirables.
On a en quelque sorte élevé des champignons.
Oui, mais pas comme on le fait avec les animaux, en croisant les lignées pour apporter du sang neuf. On n’a pas pris soin de la biodiversité des moisissures – et pour cause, on en ignorait quasiment tout.
Les champignons ont le plus souvent été clonés par l’industrie, pour obtenir un résultat stable. Gros inconvénient : ils finissent par être tous semblables. La souche dégénère. Elle devient stérile. Et c’est notre roquefort qui est menacé.
Même chose pour le camembert ?
Oui, en pire. On parle d’une autre moisissure, Penicilium camemberti. Toutes les fromages type camembert sont produits à partir d’une seule souche partout sur Terre. Cette souche est un mutant blanc sélectionné en 1898. Elle a petit à petit remplacé d’autres souches, qui donnaient des camemberts verts, oranges ou bleu-gris. On les trouvait encore en France dans les années 50. La souche est en train de mourir. Les industriels ont du mal à en avoir suffisamment.
C’est effrayant ! On peut sauver nos fromages ?
C’est là que la science intervient et c’est fantastique. Les chercheurs du CNRS ont découvert il y a peu une nouvelle souche de penicilium roqueforti, dans un bleu alpin, qui s’appelle le bleu de Termignon. Elle pourrait apporter le renouvellement génétique dont les souches historiques ont besoin. C’est un peu plus difficile pour le camembert. Les chercheurs se sont mis en quête de penicilium camemberti sauvage, ou de moisissures proches pour les croiser. C’est possible, parce qu’on sait séquencer le génome du moisi!
Ça va avoir des conséquences sur les fromages ?
Oui ! Peut-être moins de standardisation, puisque les moisissures toutes fraîches vont apporter de nouvelles caractéristiques gustatives qu’on ne connaît pas encore trop. Bonne nouvelle ! Ca fera plus de microbiodiversité et plus de goûts nouveaux dans nos assiettes.