L’histoire troublée des navettes américaines

Atlantis est prête pour le 135e et dernier voyage d'une navette spatiale américaine.
Atlantis est prête pour le 135e et dernier voyage d'une navette spatiale américaine. © REUTERS
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Après trente ans d’exploitation, la navette américaine prend sa retraite. Retour sur un demi-échec.

Un chapitre long de près de quarante ans dans l’histoire de la conquête spatiale va prendre fin ce week-end. Une immense foule est attendue vendredi après-midi autour du centre spatial Kennedy pour assister, si la météo le permet, au lancement d’Atlantis, le dernier décollage pour une navette spatiale américaine. Pour cette 135e mission, l’orbiteur doit transporter quatre astronautes et du ravitaillement dans la station spatiale internationale (ISS).

L’histoire des navettes spatiales américaines débute en 1972, quand le président de l’époque, Richard Nixon, lance le programme. A l’époque, l’ambition est double : concevoir un véhicule spatial économique et accessible à terme à tous pour atteindre l’orbite terrestre, et prendre une longueur d’avance sur le rival soviétique en matière de conquête spatiale. Près de quarante ans plus tard, aucun de ces deux objectifs n’aura finalement été tenu.

Deux accidents traumatisants

D’abord parce que le programme spatial américain s’est révélé être un gouffre financier. Il a coûté au total 208 milliards de dollars (146 milliards d’euros). Imaginée pour combiner les caractéristiques d’un autobus et d’un camion pour transporter personnes et matériel, la navette aura finalement été la machine volante la plus coûteuse de l’histoire. La Nasa tablait au départ sur 50 vols par an pour un coût unitaire de 40 millions de dollars (28 millions d’euros). L’agence spatiale n’aura finalement pas fait mieux que neuf lancements sur un an, pour 1,5 milliard de dollars à chaque fois (1 milliard d’euros). La navette "n'a pas tenu ses promesses du début d'être une machine bon marché et facile à utiliser", conclut John Logsdon, ancien directeur de l'institut politique spatial à Washington et conseiller auprès de la Maison-Blanche

Et puis il y a, surtout, les deux accidents, qui ont traumatisé les Etats-Unis et coûté la vie au total à 14 astronautes. Le 28 janvier 1986, près de cinq ans après le lancement inaugural de Columbia, le 12 avril 1981, la navette Challenger se désintègre en plein vol, 73 secondes après son décollage. L’accident, filmé sous plusieurs angles, est diffusé et rediffusé dans le monde entier. Plus aucune navette ne décollera pendant près de trois ans.

 

 

Le second accident a lieu 15 ans plus tard, en 2003. Et c’est cette fois Columbia, la navette originelle, qui est détruite lors de son retour sur Terre, en raison d’un boulier thermique endommagé lors du décollage. Cette fois, les conséquences sont définitives. Si les vols reprennent deux ans plus tard, la décision est prise d’arrêter le programme des navettes à l’horizon 2011. Soit aujourd’hui.

 

 

Des succès et un mythe

Mais ne retenir que ces deux accidents et le coût phénoménal du programme serait occulter injustement ses grands succès. Ce sont ainsi les navettes américaines qui ont permis d’installer, à partir de 1990, à 600 kilomètres d’altitude, le télescope spatial Hubble, qui a révolutionné l’observation des étoiles et autres exoplanètes. Sans les navettes, seules capables de transporter des éléments de plusieurs tonnes, la Station spatiale internationale, lourde de 350 tonnes pour 108 mètres de long, n’aurait pas non plus pu être envoyées sur orbite. Et puis les navettes restent et resteront mythique, profondément ancrées dans l’imaginaire.

En témoigne la réaction des spectateurs de Roland-Garros quand la navette Enterprise, alors exposée au Bourget, passe dans le ciel parisien, juchée sur un avion gros porteur.

Les Etats-Unis à la traîne

Mais au final, et c’est peut-être dans le cœur des Américains l’aspect le plus douloureux de la fin des vols de navette, c’est la Russie, même si la Guerre froide est terminée depuis 20 ans, qui peut désormais se targuer d’avoir remporté la bataille de la conquête spatiale. Car désormais, les astronautes américains seront obligés de voler sur des vaisseaux Soyouz s’ils veulent rejoindre l’ISS. Il leur en coûtera 51 millions par place. "On ne peut pas dire qu'on a gagné la course à l'espace, mais juste qu'une certaine étape s'achève", tempère modestement Vitaly Davydov, vice-directeur de l'Agence spatiale russe Roskosmos.

Mais alors que l’Europe peut se targuer du succès de la fusée Ariane, alors que la Russie occupe une place cruciale, alors que la Chine, qui se lance dans la construction de sa propre station spatiale, les Etats-Unis sont désormais à la traîne. Le futur vaisseau américain sera probablement d’origine privée. Son premier vol n’est pas attendu avant 2015. Au plus tôt.