L’INFO. Le guérillero se faisait appeler "camarade Artemio". En réalité, son vrai nom est Florindo Flores. Ce chef d’une faction du Sentier lumineux, arrêté il y a plus d’un an, a été condamné la semaine dernière à la réclusion à perpétuité par un tribunal péruvien, pour terrorisme, trafic de drogue et blanchiment d’argent. Le tribunal lui a également imposé une amende pour réparations civiles de quelque 182 millions de dollars. Cet homme de 51 ans est un des derniers cadres d’une des plus sanglantes guérillas d’Amérique latine d’inspiration maoïste qui a fait, dans les années 1980 à 2000, près de 70.000 morts et disparus.
>>> Que reste-t-il aujourd’hui du Sentier lumineux ? Europe1.fr a posé la question à Magally Juarez, une Péruvienne de 37 ans qui a encore des souvenirs très vivaces et Camille Boutron, sociologue spécialiste du Pérou, à l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) et à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Des souvenirs douloureux pour les Péruviens. Durant le procès qui a duré six mois, "le camarade Artemio" a nié être un terroriste et s'est défini comme "révolutionnaire" du "combat héroïque de la guerre populaire". Mais pour les Péruviens, la réalité est toute autre. Le Sentier lumineux est associé au terrorisme et à ses exactions. La famille de Magally Juarez vivait du côté de Cuzco, une ville du sud-est du pays à proximité du Machu Picchu. Ses oncles et tantes, ses cousins et ses grands-parents ont eu affaire au Sentier lumineux. Ils ont vu des "assassinats de paysans", des "terres incendiées", des "décapitations", "des kidnappings d’enfants".
A la fin des années 80, le Sentier lumineux ne se cantonne plus aux zones montagneuses du centre mais fait son apparition dans la capitale à Lima et commence à recruter, notamment dans les universités. "Mon père était médecin à cette époque. Il travaillait à l’hôpital militaire de Lima. Il a dû faire une année de service. Il est parti à Ayacucho, dans le centre" où il y avait la guérilla, témoigne Magally Juarez. Sur place, le travail est difficile. "Il a dû soigner des terroristes parce qu’il était menacé de mort", raconte-t-elle.
Au début des années 90, c’est le début des attentats à la voiture piégée à Lima. Les militaires multiplient les rondes la nuit. La vie est difficile, voire pénible. Les coupures d’électricité sont monnaie courante. "Près de mon établissement scolaire, il y avait des petits magasins de rue qui vendent des bonbons. Le Sentier lumineux y a mis une bombe. Heureusement, il n’y a pas eu de morts, seulement des blessés. A une rue de mon école, il y avait une chaîne de télé et ils l’ont aussi détruite complètement. Il y a eu des morts. La déflagration a fait sauter les vitres de l’école", témoigne Magally Juarez.
La statue du fondateur du Sentier lumineux :
Des résidus d’une guérilla dans les campagnes. Le camarade "Artemio" qui a été condamné par la justice péruvienne était le dernier dirigeant à se réclamer d’Abimael Guzman, le fondateur de la guérilla sous les verrous depuis 1992. Cette chute devait contribuer à pacifier le pays. Mais la violence se poursuit dans le sud, constate la correspondante du journal Le Monde à Lima. Plusieurs centaines d’hommes armés continuent de faire régner la terreur sous le nom de PCP-ML (Parti communiste du Pérou, militarisé), plus connu sous le nom de "nouveau Sentier lumineux" ou "Narco-Sentier" et ont pour "leaders", Victor et Jorge Quispe, deux anciens membres du Sentier lumineux. Tout cela financé grâce à l’argent du narcotrafic. Ces hommes "se sont repliés dans des territoires très spécifiques où est cultivée la feuille de coca, utilisée pour la production de cocaïne. C’est une sorte de recyclage du Sentier lumineux en narco-terrorisme, à l’image de ce qu’il se passe en Colombie avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC)", explique Camille Boutron. "Il y a un petit discours idéologique mais qui est plus une stratégie pour justifier leur présence sur ces territoires", tempère cette spécialiste du Pérou.
Néanmoins, il y a des incursions répétées ces derniers temps. En avril 2012, une trentaine de travailleurs ont été pris en otage avant d’être rapidement libérés. Le 6 juin, deux policiers ont été récemment blessés par des hommes armés dans la région de l’Ayacucho. Ils ont dérobé une grande quantité de dynamites, rapporte Peru21. Le 9 juin, le cadavre d’un homme a été retrouvé à Cuzco. La victime était l’assistant d’un gouverneur local qui s’occupait notamment de l’achat et de la vente de produits agricoles, précise RPP. Il a été retrouvé avec des coupures dans le cou et la bouche à proximité l’inscription suivante : "vive le parti communiste Sentier lumineux du Pérou".
Un nouveau mouvement politique dans la capitale. Un autre mouvement s’est créé il y a deux ans environ : le Movadef, le Mouvement pour l'amnistie et la défense des droits fondamentaux. Eux se revendiquent clairement de Guzman, le fondateur du Sentier lumineux. Mais pour l’instant, il n’a pas reçu l’autorisation des autorités pour s’inscrire comme parti politique. "Il est composé d’anciens militants du Sentier lumineux. Il y a pas mal de jeunes qui croient trouver dans le Movadef, un mouvement altermondialiste, contestataire. Tout ça dans un pays très à droite où il y a peu de mouvements alternatifs", analyse Camille Boutron. Ce mouvement réclame "l’amnistie générale" de cette période et dit vouloir se battre pour les droits des plus défavorisés et dans les luttes syndicales.
Et un président, ex-du Sentier lumineux. L’actuel président de gauche, Ollanta Humala a fait partie du Sentier lumineux comme capitaine dans la province de Huanuco, dans le centre du pays. Aujourd’hui, il en est un fervent pourfendeur. Toutefois, en 2006, il a été accusé de violations des droits de l’homme qui auraient été commises par des soldats placés sous ses ordres dans les années 90. Il a été relaxé faute de preuves. "Il est important de signaler que la lutte contre le terrorisme n'appartient pas encore au passé", a reconnu le président Humala en 2012. Mais, selon lui, l’Etat a commis une erreur durant toutes ces années après l’arrestation de Guzman, son fondateur : "l'erreur de s'endormir sur ses lauriers en se concentrant sur les captures de dirigeants importants, sans combattre le reste de l'organisation, en développant un Etat de droit grâce à la mise en place de commissariats, d'écoles, de centres de santé".