La Turquie n'a pas cédé de terrain samedi sur l'exemption des visas pour ses citoyens, dont elle a fait une condition indispensable à la mise en application d'un accord controversé sur les migrants conclu avec l'Europe. Cette mesure est d'une importance "vitale" pour la Turquie et une "partie inaliénable, fondamentale" de l'accord visant à stopper le flux de migrants vers l'Europe, a déclaré le Premier ministre Ahmet Davutoglu, en présence de plusieurs responsables européens venus en Turquie pour tenter d'apaiser les tensions. Lors d'une conférence de presse conjointe à Gaziantep, le président du Conseil européen Donald Tusk a loué l'action de la Turquie, "le meilleur exemple, pour le monde, sur la manière dont nous devrions traiter les réfugiés", à rebours des critiques de nombreuses ONG. La chancelière allemande Angela Merkel, Donald Tusk et le commissaire européen Frans Timmermans se sont rendus dans cette ville proche de la frontière syrienne, trois semaines après le renvoi en Turquie des premiers migrants de Grèce dans le cadre de cet accord.
Ankara souhaite l'exemption de visas d'ici juin. Ankara s'est engagé à accepter le retour sur son sol de tous les migrants entrés illégalement en Grèce depuis le 20 mars. Le plan prévoit aussi que pour chaque réfugié syrien renvoyé en Turquie, un autre sera "réinstallé" dans un pays européen, dans la limite de 72.000 places. En contrepartie, les Européens ont accepté de fournir jusqu'à six milliards d'euros, de relancer les discussions sur l'intégration de la Turquie à l'UE et d'accélérer le processus de libéralisation des visas pour les Turcs. Ankara, qui a promis aux 79 millions de Turcs une exemption de visa d'ici fin juin, a fait monter les enchères cette semaine, menaçant de ne plus respecter l'accord si les Européens ne tenaient pas leur engagement. L'exécutif européen a indiqué qu'il présenterait un rapport sur le sujet le 4 mai, mais il est attendu au tournant par ceux qui redoutent que Bruxelles brade ses valeurs pour se concilier la Turquie.
Des visas si la Turquie remplit les critères. "J'ai l'intention de tenir cet engagement à condition que la Turquie fournisse les résultats" en remplissant les 78 critères exigés par l'UE pour libéraliser le régime des visas, a affirmé Angela Merkel. Très critiquée dans son pays pour avoir autorisé des poursuites pénales réclamées par la Turquie contre un satiriste ayant dépeint Recep Tayyip Erdogan en zoophile, la chancelière s'est défendue, affirmant avoir "toujours souligné (...) lors de discussions avec le Premier ministre (turc) que des valeurs comme la liberté de la presse et la liberté d'expression sont pour nous inaliénables". Avec Ahmet Davutoglu, les dirigeants européens ont visité sous haute sécurité et au pas de charge le camp de réfugiés de Nizip 2, qui accueille dans des préfabriqués près de 5.000 réfugiés syriens, dont 1.900 enfants, selon les chiffres du gouvernement turc. Ils y ont été acueillis par un bouquet de fleurs et une banderole proclamant : "Bienvenue en Turquie, le pays qui accueille le plus de réfugiés au monde". Trois millions de personnes, dont 2,7 millions de Syriens, y ont trouvé refuge.
"Nous avons des écoles et des hôpitaux, la vie est bonne ici. Mais on veut savoir quel est notre avenir. (...) Si la guerre se termine aujourd'hui, je rentre demain en Syrie", a déclaré à l'AFP Mohammed Tomoq, 49 ans, qui a fui Damas avec sa femme et ses quatre enfants. Les dirigeants européens et Ahmet Davutoglu ont ensuite inauguré sous les applaudissements un centre de protection accueillant des enfants syriens, construit avec des fonds européens. Depuis l'entrée en vigueur de l'accord, 325 migrants arrivés en Grèce ont été renvoyés en Turquie et 103 réfugiés syriens réinstallés dans l'UE, selon la Commission. L'ONG Amnesty International estime que la Turquie n'est pas un "pays sûr" pour les réfugiés et accuse Ankara d'avoir renvoyé des dizaines de personnes en Syrie, ravagée depuis 2011 par une guerre qui a fait plus de 270.000 morts et déplacé au moins la moitié de la population. "Aucun Syrien n'a été renvoyé en Syrie contre son gré depuis la Turquie", a une nouvelle fois démenti Ahmet Davutoglu samedi.