Deux jours après le référendum sur l'indépendance de la Catalogne, l'Espagne est dans l'impasse. Si les images de policiers frappant des manifestants ont choqué au-delà des frontières ibériques, l'Europe, elle, a tardé à réagir. Lundi, la Commission européenne et le président du Conseil européen, Donald Tusk, sont finalement sortis de leur réserve… tout en restant prudents. Dialoguer et éviter le recours à la force, voilà les appels lancés par Bruxelles. Un débat d'urgence consacré à la question a beau être prévu mercredi au Parlement, l'exécutif européen n'est pas vraiment en mesure d'agir, et n'en a pas l'intérêt, explique sur Europe1.fr Frédéric Allemand, spécialiste de l'Union européenne à l'Université du Luxembourg.
Comment expliquer l'attitude de l'Europe, qui se tient volontairement en retrait dans cette crise ?
"La première raison est proprement constitutionnelle. Tout ce qui relève des affaires intérieures n'est pas du ressort de l'Union européenne, tant que celle-ci n'est pas impactée directement. En avril, par exemple, la Commission européenne a lancé une procédure d'infraction contre la Hongrie, car elle jugeait certaines de ses décisions contraires à celles garanties par les traités européens. Le référendum catalan, en l'occurrence, est un processus interne, déclaré illégal par le gouvernement espagnol. C'est pourquoi l'Europe se garde bien de commenter.
La deuxième raison est plus contextuelle. Elle est liée aux débats déjà existants autour du Brexit. Les discussions sont déjà assez compliquées pour que l'Union prenne le risque de voir resurgir un débat sur l'indépendance de l'Écosse, notamment. Il s'agit de ne pas mettre de l'huile sur le feu.
Et si l'Europe doit à la fois apporter son soutien aux processus démocratiques et garantir l'intégrité des États-membres, il est ici difficile de faire les deux à la fois. Quand on ne sait pas agir, mieux vaut donc ne rien dire."
Selon le politologue belge Hendrik Vos, la retenue européenne est aussi liée "au fait que Mariano Rajoy est membre du Parti populaire européen (PPE)", majoritaire au Parlement européen et auquel appartient le président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Cela vous semble-t-il envisageable ?
"Pour moi, ce lien semble peu probable. L'appartenance politique est moins claire au niveau européen qu'au niveau national."
Alors que Mariano Rajoy ne cesse de répéter qu'il s'agit d'un problème interne, le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, réclame quant à lui une médiation internationale supervisée par l'UE. Pourquoi une telle demande, sachant que l'Europe ne s'est jamais prononcée en faveur de l'indépendance catalane ?
"Les Catalans ont un intérêt stratégique à faire appel à l'Europe. Un arbitrage à l'échelle européenne entre les deux parties leur permettrait de se légitimer et de se hausser au niveau du gouvernement espagnol. Ils y voient un moyen de changer de statut auprès des instances du continent.
Mais pour débloquer la situation, ce qui semble compliqué, ce tiers ne devrait pas être européen. Il serait plus envisageable qu'il s'agisse de quelqu'un d'extérieur, peut-être un triumvirat constitué de personnalités respectées."
Où se situe la ligne rouge qui pourrait pousser l'Europe à agir ?
"Pour l'instant, l'Espagne est un État de droit. On est dans le respect des procédures. Si on devait observer un exercice de la force du gouvernement espagnol hors du cadre légal, l'Europe pourrait intervenir. Mais à mon avis, il n'y a aucune probabilité que ça arrive.
Concernant l'ingérence, la question est la même pour l'ONU, par exemple. Les dernières prises de position de l'Assemblée générale des Nations Unies remontent soit aux années 1960 à propos des territoires colonisés, soit à l'annexion de la Crimée par la Russie. Là, on n'est pas du tout dans le même contexte."