Ils voulaient "comprendre". À l'ouverture du procès des meurtriers présumés de Sophie Lionnet, lundi, les proches de la Française ne cachaient ni leur appréhension ni leur attente. Face à eux, à la cour criminelle londonienne de l'Old Bailey, se trouvent Sabrina Kouider et Ouissem Medouni, qui employaient la jeune fille au pair et sont soupçonnés de l'avoir maltraitée pendant des mois, avant de la tuer et de brûler son corps. Que s'est-il passé précisément ? Quel était le mobile des violences et du crime ? Après quatre jours d'audience, de premières réponses se dessinent devant la justice britannique, retraçant un véritable calvaire.
Battue, mal nourrie, séquestrée. Selon l'acte d'accusation, lu à l'ouverture du procès, Sophie Lionnet, 21 ans, a vécu une vingtaine de mois comme une "prisonnière". Embauchée en janvier 2016 pour s'occuper des enfants du couple français, dans la zone résidentielle de Southfields, dans le sud-ouest londonien, la jeune femme pense s'émanciper, améliorer son anglais et oublier un douloureux chagrin d'amour. Mais arrivée sur place, elle déchante immédiatement. Contrainte de dormir sur un lit superposé dans la chambre des enfants, battue, mal nourrie : honteuse et sous emprise, la Française est progressivement prise au piège.
Dès le mois d'août 2016, sans faire état de la gravité de sa situation, elle exprime son souhait de rentrer en France. "Si j'avais les moyens de m'acheter un billet et de prendre un taxi, je l'aurais déjà fait", écrit-elle à sa mère via la messagerie de Facebook. À peine payée, Sophie Lionnet ne prend jamais de vacances pour voir sa famille. Son passeport et sa carte d'identité ne seront jamais retrouvés par les enquêteurs, qui soupçonnent que ses employeurs les lui ont retirés. En proie à des difficultés financières, ses parents ne peuvent envisager de lui rendre visite.
Accusée de pédophilie. Surtout, la jeune fille au pair est la cible constante d'accusations, formulées par sa "patronne", Sabrina Kouider. Cette dernière est en conflit avec le père de son fils, Mark Walton, membre fondateur du boys band irlandais "Boyzone", et pour lequel elle a développé une obsession. Après leur rupture, elle a accusé le chanteur de pédophilie, d'agressions sexuelles et de harcèlement. Avant, petit à petit, d'intégrer sa fille au pair à ces scénarios : Sophie Lionnet aurait permis à son ex-compagnon de revoir son fils, de le droguer et de violer. L'accusation sera rapidement mise à mal par la police : Mark Walton n'a pas mis les pieds à Londres en 2017.
Mais la paranoïa de Sabrina Kouider ne cesse de s'accroître. Lors de longues séances d'interrogatoires, elle a recours à des méthodes de torture pour "faire parler" la jeune Française, parfois filmée. "Je prie Dieu pour qu'il m'empêche de te toucher. Je ne veux pas me salir les mains !", hurle-t-elle sur l'un des enregistrements. Maigre, le visage émacié, Sophie Lionnet ploie sous les coups et les insultes, accusée d'être pédophile et de "sentir le sexe". Le 20 septembre 2017, elle finit par reconnaître la soi-disant complicité dont on l'accuse. Il ne lui reste plus que quelques heures à vivre.
"Griller un mouton". Selon plusieurs témoins, Sophie était régulièrement torturée dans la baignoire du couple. Alors que les bruits d'éclaboussures se mêlaient à ses cris, ses employeurs lui intimaient de "respirer". Est-elle morte par noyade ce jour-là ? L'examen de la dépouille ne permet pas de le déterminer. Elle révèle cependant une fracture de la mâchoire, survenue quelques heures avant le décès.
Mais les expertises sont compliquées par l'état du corps, brûlé par Ouissem Medouni dans le jardin du couple. Aux pompiers, le conjoint de Sabrina Kouider a affirmé faire griller "un mouton". Confondu par les restes humains, vêtements et bijoux encore présents sur le corps de la victime, sa version des faits a légèrement changé : l'homme a reconnu avoir brûlé le corps de sa jeune fille au pair. Mais tout comme sa compagne, il persiste à nier les violences et le meurtre. Une version inchangée à ce stade du procès.