C’est un destin comme seuls les Etats-Unis savent en produire. Né millionnaire dans l’Amérique des années 50, devenu golden boy milliardaire dans les années 80, Donald Trump a ajouté une ligne supplémentaire à sa success story. Et pas n’importe laquelle, puisqu’il est devenu dans la nuit de mardi à mercredi le 45e président des Etats-Unis. Un scénario hollywoodien dont on ne sait pas encore s’il connaîtra un happy end. Car, même dans un pays qui érige la réussite financière en vertu cardinale comme les Etats-Unis, une question se pose : les conflits d'intérêts vont-ils pourrir le mandat de Donald Trump ?
Des précédents dans l'histoire américaine. Pour le candidat républicain, business et politique semblent étroitement liés. Symbole de cette confusion entre ces deux casquettes, le républicain a suivi le décompte des votes depuis la Tour Trump de Manhattan, qui est à la fois son siège de campagne et celui de son conglomérat. Mais dans l’histoire américaine, il n’est pas le premier à s’investir en affaires comme en politique. Le vice-président de George Bush Dick Cheney dirigeait jusqu’en 2000 le groupe pétrolier Halliburton. Bush lui-même avait fondé la compagnie Arbusto Energy, tandis que dans les années 30, le président Herbert Hoover s’est retrouvé à la tête d’une entreprise minière.
Et pourtant, l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche change la donne : "C'est sans précédent dans l'histoire des Etats-Unis notamment parce qu'on ne connaît pas l'ampleur et la nature de ses liens financiers. On ne sait pas à qui il doit de l'argent ", affirme Kathleen Clark, professeure de droit à la Washington University. Le magnat pèse 3,7 milliards de dollars (3,4 milliards d'euros) selon le magazine Forbes, et surtout, contrairement aux autres politiques cités, il n’a jamais occupé la moindre responsabilité électorale par le passé.
Le dossier de la Deutsche Bank pose question. Attaqué sur le risque de conflit d’intérêts pendant la campagne, Donald Trump s’est défendu à sa manière : en frappant encore plus fort. "Les Clinton ont passé des décennies à se remplir les poches en s'occupant de leurs donateurs au lieu des Américains", avait tempêté le milliardaire en août dernier, accusant le couple de détourner des fonds sur les deux milliards de dollars de dons collectés par leur fondation. Il s’est ensuite engagé, s’il était élu, à déléguer la gestion de la Trump Organization, son conglomérat financier, à une structure financière indépendante le privant de tout droit de regard. Sauf que ce "blind trust" sera contrôlé par ses trois enfants…
Au-delà de la gestion des hôtels, terrains de golfs et autres propriétés immobilières du groupe Trump, certains observateurs craignent que le nouveau président américain soit influencé par son passif financier dans sa gestion de certains dossiers brûlants. Ainsi, le Wall Street Journal souligne que la Deutsche Bank a prêté 2,5 milliards d’euros au magnat depuis 1998. Or, l’administration Trump va devoir gérer l’amende record de 14 milliards de dollars réclamée par le ministère de la Justice américain en septembre dernier dans le cadre de la crise des subprimes de 2008.
George W. Bush épinglé. Donald Trump, qui traîne toujours 700 millions de dollars de dettes, aura-t-il les mains complètement libres sur ce dossier ? Paul Krugman, économiste prix Nobel et grand critique de ce genre d’arrangements, craint que certaines pratiques, apparues sous les deux mandats de George W. Bush, refassent surface. En 2005, l’ex-président américain avait notamment supprimé le crédit d’impôt de 1,5 milliards d’euros accordé à l’association du cinéma américain après que cette dernière avait engagé un ancien membre de l’administration Clinton. L’affaire avait fait grand bruit, quelques années seulement après le scandale Enron, cette société pétrolière gérée par un proche de Bush qui avait maquillé ses comptes.
La présidence, la meilleure des publicités pour Trump. Comment éviter tout risque d’immixtion des intérêts privés du groupe Trump à la Maison-Blanche ? Légalement, le président peut concilier l’exercice de son mandat avec des responsabilités économiques, contrairement aux membres non-élus de l’exécutif comme les secrétaires d’Etat qui en sont interdits. Mais les institutions américaines comptent quelques garde-fous, comme la procédure d’impeachment (destitution en français) qui avait coûté son poste à Richard Nixon lors du scandale du Watergate. Seulement voilà : pour être lancée, cette procédure doit être votée par la Chambre des Représentants, constituée d’une majorité d’élus républicains.
Mais Donald Trump aura-t-il besoin d’aller jusqu’au conflit d’intérêt pour favoriser ses affaires une fois installé au bureau ovale ? Rien n’est moins sûr. Et pour cause, le nouveau président a avant tout bâti sa fortune sur son nom en vendant la marque Trump à des promoteurs qui estampillent ainsi leurs bâtiments. D’après de nombreux analystes, comme Larry Chiagouris, professeur de marketing à l'Université Pace de New York, en se lançant en politique, Donald Trump cherche avant tout"à faire briller sa marque, la campagne est pour lui le meilleur des spots publicitaires." Un spot qu’il va donc pouvoir continuer à tourner les quatre prochaines années.