Son semi-remorque est à l'arrêt sur le viaduc de Gênes, juste derrière ce camion vert, immobile à quelques centimètres du vide, qui hypnotise la ville tant il symbolise ce qui sépare la vie et la mort. Mardi, comme tous les jours, Idriss Afifi s'était engagé sur le pont pour aller livrer des containers au port. "Il pleuvait des cordes, un éclair a frappé une arche du pont, elle a cédé", raconte-t-il à Europe 1. "Ensuite, tout s'est effondré d'un coup."
"Tu cours pour sauver ta peau". Le chauffeur se souvient alors de la panique. "Le camion vert, c'est le plus chanceux, parce qu'il roulait et une voiture l'a doublé. Il a freiné un peu et la voiture qui le doublait a basculé dans le vide. Ensuite, il a reculé de 3 ou 4 mètres. J'étais derrière lui, j'ai fait marche arrière et je me suis enfuis. C'est comme être projeté dans un film : tu cours pour sauver ta peau, pas le temps d'avoir peur, si tu tombes tu meurs, c'est tout. Et tu cours aussi pour sauver ceux qui sont derrière, parce qu'eux, ils ne savent pas ce qu'il y a devant." Idriss Afifi a d'ailleurs vu "des gens qui ne voulaient pas lâcher leur voiture et d'autres qui les tiraient de leur véhicule pour qu'ils s'en aillent."
"À 150 mètres, j'y passais". Finalement, "tout le monde a fini par s'échapper dans le tunnel". Parmi ces gens, Nenad Vatovic, un autre chauffeur qui emprunte le viaduc tous les jours. Mardi, il s'est arrêté juste derrière Idriss Afifi. "Quand je m'engage sur le pont, il fait sombre", se souvient-il. "L'ambiance était bizarre, comme une sorte de fin du monde avec un vent très fort. Et puis j'ai senti, disons, le pont se balancer sous mes roues. J'ai pensé à un tremblement de terre." Aujourd'hui, Nenad Vatovic est conscient qu'il s'en est fallu de très peu. "À 30 secondes près, j'y étais. À 150 mètres, j'y passais."
Devenus amis, les deux chauffeurs attendent toujours de pouvoir récupérer leurs affaires. Ils sont pour l'instant hébergés dans un foyer sur les hauteurs de la ville. Depuis les jardins, ils peuvent voir le pont Morandi amputé.