Y aura-t-il des "gilets jaunes" candidats aux prochaines élections européennes et municipales ? C'est désormais l'enjeu pour les participants au mouvement de contestation : tenir dans la durée, après plusieurs semaines de mobilisation sur le terrain. Certains sont en train de franchir le pas de l'engagement en politique et se structurent pour lancer des listes aux élections européennes de mai prochain, comme a pu le constater Europe 1.
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Nouvelle plateforme pour nouveau mouvement. Car avec moins de monde dans les cortèges et les fêtes de fin d'année qui arrivent, certaines figures des "gilets jaunes" estiment qu'il faut se lancer dans la bataille pour les urnes. "On est en train de mettre en place tous les groupes de travail, des pôles thématiques, dans lesquels des citoyens vont faire remonter du terrain un certain nombre d'idées et de revendications", promet Hayk Shahinyan, qui va déposer en préfecture les statuts d'une association, "Gilets Jaunes, Le Mouvement".
"Projet par projet, sur la plateforme, les gens vont voter sur la fiscalité, la santé, la culture… On va créer une sorte de programme. Il y a énormément de bonnes volontés mais elles vont finir par s'essouffler si elles ne trouvent pas un cadre dans lequel elles vont pouvoir s'exprimer", veut croire celui qui compte présenter des candidats au mois de mai, et revendique déjà 14.000 pré-adhésions. D'autres veulent aller aux élections municipales, en 2020, comme Christian Alliet, chauffeur de bus à la retraite, 62 ans, qui veut briguer la mairie de Besançon.
La défiance des ronds points. Ces candidatures, si elles ne sont pas encore effectives, intéressent une partie de l'opinion : une liste "gilets jaunes" aux européennes ferait 12%, selon un sondage Ipsos de la semaine dernière. Mais sur les ronds-points, les manifestants semblent accueillir plutôt défavorablement une traduction politique à ce mouvement. À Dole, dans le Jura, on demande avant tout le référendum d'initiative citoyenne, et non pas des candidatures aux élections, qui suscitent carrément de la défiance. "La politique, c'est un autre monde", évacue un contestataire de ce rond-point. "À chaque fois, on élit des gens pour quatre ou cinq ans. Après, on a l'impression d'être systématiquement trahis", se désole un autre "gilet jaune". "Nous, on veut rester comme ça, en manifestant et en gênant un peu l'économie. Ça a plus de puissance", insiste un troisième.
Il y a donc ce rejet de la politique, mais aussi et surtout l'écueil de la division, pour un mouvement qui reste très hétéroclite plusieurs semaines après son éclosion. Rien que pour les européennes, il y a déjà deux listes concurrentes en préparation, dont l'une lancée lundi autour du chanteur Francis Lalanne, déjà candidat malheureux aux dernières législatives, dans l'Essonne. L'initiative a fait grincer beaucoup de dents.
Une liste "GJ", "problème" pour le RN ? Du côté des partis traditionnels, la perspective de voir des "gilets jaunes" aux élections européennes inquiète les partis qui pourraient voir leurs scores baisser avec une ou plusieurs listes "GJ". En réponse, les formations politiques affûtent leur stratégie : au Rassemblement national, "on n'exclut pas l'hypothèse" d'inclure des "gilets jaunes" sur la liste du parti, parce que "s'ils font la leur", dit un responsable, "ça pourrait devenir un problème". L'inquiétude a une raison : dans le sondage Ipsos évoqué plus haut, une liste "gilets jaunes" priverait le parti de Marine Le Pen de trois précieux points dans une élection à un tour.
Toujours selon ce sondage, une liste "gilets jaunes" conduirait également à une baisse de trois points pour La France insoumise, qui prend bien soin de préciser à Europe 1 qu'elle avait des "gilets jaunes" sur sa liste avant même que le mouvement n'existe, et qu'elle pourrait encore en accueillir. Le Parti communiste a annoncé lundi qu'il allait en faire de même. Debout La France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan, a quant à lui approché l'un des porte-paroles des Gilets Jaunes, Benjamin Cauchy.
Aubaine espérée chez LREM. En face, que fait La République en marche ? Au sein de la formation présidentielle, on est ravis : une liste des "gilets jaunes" est "la meilleure chose qui pourrait nous arriver", dit même un cadre, parce que LREM ne perd pas un point dans le sondage en question. Un sondage réalisé à six mois du scrutin, qu'il faut tout de même prendre avec beaucoup de prudence.
Amis et compromis. Pour un député de la majorité, Patrick Vignal, la constitution d'une liste "GJ" aurait même une deuxième vertu, à savoir confronter les personnes en colère au principe de réalité : "Les gens pensent que le politique peut tout régler, mais ce n'est pas vrai. Ils vont voir que la politique, c'est dur, que c'est violent, qu'il n'y a pas d'amis." Et qu'il faut faire des compromis, ce que les Gilets Jaunes n'ont jamais accepté, ni d'Edouard Philippe, ni du président de la République, depuis le début du mouvement.