"Un point d’arrêt a été mis à l’escalade de la violence." Les mots prononcés par Christophe Castaner au soir de la quatrième journée de mobilisation des "gilets jaunes" traduisent bien le soulagement du gouvernement. Après les débordements spectaculaires du 1er décembre, les autorités avaient mis en place des mesures de sécurité renforcées et axées sur la dissuasion, dispositif qui a "porté ses fruits", selon le ministre de l’Intérieur. Résultat des courses : des manifestants un peu moins nombreux que la semaine précédente, des dégâts limités à Paris et de très nombreuses interpellations.
Prévention et dissuasion
Pour tuer dans l’œuf les scènes de violence inédites observées le 1er décembre, notamment à Paris, le ministère de l’Intérieur avait repensé le dispositif de sécurité. Au total, 89.000 membres des forces de l'ordre ont été mobilisés sur l’ensemble du territoire, dont 8.000 à Paris. La place Beauvau avait privilégié des escadrons mobiles pour pouvoir intervenir rapidement et ne pas se faire déborder. Dans la capitale, pour la première fois depuis des décennies, l'État a engagé des "VBRG", les véhicules blindés à roue de la gendarmerie, pour dissuader les manifestants et briser les barricades. Ce "changement de stratégie du maintien de l’ordre a porté ses fruits", a estimé Christophe Castaner dans la soirée, précisant qu’il a contribué à endiguer "la dynamique des casseurs quand ils tentaient de s’organiser".
En ce qui concerne les événements parisiens, les forces de l’ordre sont intervenues bien en amont, jusque sur les lieux de départ des manifestants venu de province. Les trains en direction de la capitale ont ainsi été ratissés, entraînant des dizaines d’interpellations de personnes équipées de "matériel suspect". Des interventions sur deux péages franciliens ont également permis aux forces de l’ordre de saisir des masques, des frondes, des marteaux, des pavés mais aussi des couteaux, un bidon d'essence ou encore un harpon. Aux abords des Champs-Élysées et des autres lieux de manifestation parisiens, les autorités ont procédé à des fouilles systématiques.
Plus de 1.700 interpellations
Au total, 1.723 personnes ont été interpellées dans toute la France samedi, à l'occasion de l'acte IV de la mobilisation des "gilets jaunes", et 1.220 ont été placées en garde à vue, selon des chiffres du ministère de l'Intérieur dimanche. Quelque 136.000 personnes ont participé à cette nouvelle journée de mobilisation, soit le même nombre que le 1er décembre, a précisé la place Beauvau.
En sus, 118 manifestants ont été blessés, "principalement dans le domaine routier", a annoncé Christophe Castaner en fin de journée. À Paris, l’AP-HP a accueilli 126 personnes dans ses hôpitaux pour des blessures, un chiffre supérieur au décompte de l’Intérieur de 71 blessés. Près de 40% de ces blessés avaient quitté samedi soir les services d'urgence. Du côté des forces de l’ordre, l’Intérieur a fait état de 17 blessés dont sept à Paris.
À Paris, la violence persiste mais baisse d’un cran
Après une matinée relativement calme, des heurts ont éclaté samedi à différents endroits de la capitale. Des gaz lacrymogènes aux abords des Champs-Élysées, le Drugstore de Publicis de l'avenue attaqué, des vitrines brisées avenue de Friedland, une barricade enflammée sur les Grands-Boulevards où les véhicules blindés de la gendarmerie ont été déployés... des points de tension se sont soudainement créés en début d'après-midi alors que, contrairement au samedi précédent, aucun incident majeur ne s'était produit jusqu'à la mi-journée.
Divisés en plusieurs cortèges (sur les Champs, les Grands Boulevards et devant la gare Saint-Lazare notamment), les "gilets jaunes" se sont rejoints au fil de la journée, entraînant des épisodes de violence sporadique. À l'angle du 2e et du 9e arrondissement, des "gilets jaunes" ont ainsi utilisé du mobilier urbain et de la végétation pour construire des barricades. Sur les Champs-Élysées, des affrontements ont eu lieu entre les forces de l'ordre, qui ont usé de gaz lacrymogène et de grenades désencerclantes, et les manifestants. La tombée de la nuit n'a pas fait fuir les manifestants qui faisaient toujours face aux forces de l'ordre sur l'avenue, avec quelques échauffourées provoquées par de petits groupes mobiles. Finalement, c’est sur la place de la République que les derniers heurts ont pris place.
En régions, un calme relatif sauf à Bordeaux
Dans la plupart des villes concernées par la mobilisation, les manifestations se sont déroulées dans le calme. C’était notamment le cas à Nice (500 personnes), Narbonne (1.600), au Puy-en-Velay (1.500), à Lille (2.000) ou encore à Strasbourg (200). Ailleurs, des incidents ont émaillé les cortèges à Saint-Étienne, Lyon, Grenoble, Nantes, avec des affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. Dans les rues de Marseille, 2.000 "gilets jaunes" ont défilé selon la police, qui a arrêté une douzaine de personnes lors d'échauffourées en fin de journée. La situation s'est tendue dans l'après-midi, notamment quand des manifestants ont tenté d'approcher l'Hôtel de Ville. Des incidents ont également éclaté à Toulouse, où 5.500 "gilets jaunes" ont défilé.
Mais c’est à Bordeaux que la situation a été la plus tendue, principalement à la tombée de la nuit. Le cortège bordelais, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes, a dégénéré en fin de parcours sur la place face à l'Hôtel de Ville, où au moins une personne a été grièvement blessée. Lors d'affrontements violents avec la police, un homme jeune a été touché à la main, apparemment arrachée par une grenade. Une dizaine de personnes ont été interpellées. Le long de la cathédrale, les affrontements sont vite devenus violents, la place disparaissant sous les fumigènes et les gaz lacrymogènes qui rejetaient les passants dans les rues adjacentes.
Et après ?
Malgré la mobilisation plus faible, certains "gilets jaunes" semblent prêts à repartir au front. Un "acte V" était en effet réclamé par des manifestants, qui sont allés jusqu’à le taguer sur les murs de la capitale, comme pour prendre rendez-vous.
« Acte V : j’ai hâte » #8decembre2018@ParisMatch#acteIVpic.twitter.com/rhR1JuwGsW
— Emilie Blachere (@EmilieBlachere) 8 décembre 2018
Alors qu’Emmanuel Macron doit s’exprimer en début de semaine, Édouard Philippe a, de son côté, appelé les "gilets jaunes" au dialogue samedi. "Le président de la République s'exprimera. Il lui appartiendra de proposer les mesures qui viendront nourrir ce dialogue et qui permettront, je l'espère, à l'ensemble de la Nation française de se retrouver et d'être à la hauteur des enjeux qui sont déjà là et qui vont continuer à se poser dans les années qui viennent", a-t-il expliqué, sans davantage de précisions. "Il faut désormais retisser l'unité nationale par le dialogue, par le travail, par le rassemblement", a conclu le chef du gouvernement.