Les "gilets jaunes" n’ont pas dit leur dernier mot. Deux mois après le début du mouvement de contestation, la mobilisation a repris de la vigueur pour ce premier samedi de l’année 2019. 50.000 personnes ont défilé dans toute la France, et si la plupart des cortèges ont débuté dans le calme, des heurts ont éclaté dans les grandes villes, ainsi que dans la capitale où la mobilisation a viré à l’affrontement avec les forces de l’ordre et où le cœur du pouvoir a été visé, suscitant l’indignation d’Emmanuel Macron.
La mobilisation reprend des couleurs
Si les fêtes de fin d’année avaient montré un essoufflement du mouvement des "gilets jaunes", "l’acte 8" a connu un regain de mobilisation. 50.000 personnes ont manifesté dans toute la France samedi, selon les chiffres du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. La semaine dernière, ils étaient 32.000 à avoir battu le pavé, et 38.600 le 22 décembre. En comparaison, quelque 66.000 "gilets jaunes" s’étaient mobilisés le dernier samedi avant les fêtes de Noël. "50.000, ça fait un peu de plus d'une personne par commune de France. C'est cela la réalité du mouvement des 'gilets jaunes' aujourd'hui. Donc, on voit bien que ce mouvement n'est pas représentatif de la France", a minimisé Christophe Castaner sur LCI.
Regain de violence dans la capitale
À Paris, où 3.500 personnes se sont mobilisées, les manifestations ont donné lieu à des scènes de chaos, comme on n’en avait plus vu depuis près d'un mois. Partis des Champs-Elysées dans la matinée, plusieurs milliers de "gilets jaunes" ont déambulé d’abord dans le calme pendant une bonne partie de la journée avant que des heurts n'éclatent avec les forces de l'ordre jusqu'en début de soirée. Arrivés près de l’Hôtel de Ville, des "gilets jaunes" se sont lancés en direction de l’Assemblée nationale. De premiers incidents ont alors éclaté, lorsque des manifestants ont jeté des bouteilles et des pierres sur les forces de l’ordre, qui ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes. Quelques mètres plus loin, sur une passerelle qui relie les deux rives de la Seine, un homme, ganté de noir, à visage découvert, et ne portant pas de gilet jaune, s'est en violemment pris à un gendarme, à qui il a porté plusieurs coups. Il s’agirait d’un boxeur professionnel. La scène, filmée, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, et le procureur a été saisi.
Empêché d’atteindre l’Assemblée nationale, un cortège de plusieurs dizaines de "gilets jaunes" a alors dévié du parcours en scandant : "Paris, debout, soulève-toi !" Arrivés sur le boulevard Saint-Germain, plusieurs barricades de fortune ont été érigées. Des scooters, des poubelles et une voiture ont été incendiées, dégageant d'épaisses fumées noires. Les dégâts sont spectaculaires mais restent limités. En début de soirée, certains manifestants sont retournés sur les Champs-Elysées, avant d'en être chassés par les forces de l’ordre. Selon la préfecture de police, 24 personnes ont été interpellées dans la capitale samedi. "Nous devions assister aujourd'hui à une manifestation pacifique à Paris, et les plus radicaux s'emploient, une fois de plus, à nuire à cette mobilisation légitime", a regretté Jacline Mouraud, une des figures du mouvement.
Des scooters ont été incendiés sur le boulevard Saint-Germain. ©ZAKARIA ABDELKAFI / AFP
"C’est la République qui est visée"
Autre événement marquant de cet "acte 8" : le cœur du pouvoir a été visé, avec l’intrusion de "gilets jaunes" dans la cour du ministère du porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. Selon le récit donné par ce dernier, des "gilets jaunes" et des "gens habillés en noir" ont défoncé la porte du ministère dans l’après-midi, au moyen d’un engin de chantier qui se trouvait dans la rue. Dans la cour, ils ont ensuite cassé deux voitures et des vitres, avant de s'enfuir. Par sécurité, Benjamin Griveaux et ses collaborateurs ont été exfiltrés du bâtiment. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris.
"Ce n'est pas moi qui suis visé, c'est la République", par "ceux qui souhaitent l'insurrection, renverser le gouvernement", mais "la République tient debout", a souligné le porte-parole auprès de l'AFP. "C'est inacceptable et j'espère que les vidéos permettront d'identifier et de poursuivre les auteurs, et qu'ils seront très très durement condamnés. Ce qu'ils ont cassé aujourd'hui ce n'est pas mon ministère, ils ont cassé un bâtiment qui appartient aux Français", a-t-il souligné. Une telle intrusion dans un ministère est très rare, et a fait réagir au sein de la classe politique... jusqu’au président de la République qui, sans faire référence à cet incident, a dénoncé une "extrême violence" venue "attaquer la République - ses gardiens, ses représentants, ses symboles", sur Twitter :
Une fois encore, une extrême violence est venue attaquer la République - ses gardiens, ses représentants, ses symboles. Ceux qui commettent ces actes oublient le cœur de notre pacte civique. Justice sera faite. Chacun doit se ressaisir pour faire advenir le débat et le dialogue.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 5 janvier 2019
Des heurts en régions
Un peu partout en France, les cortèges de "gilets jaunes" avaient là aussi débuté dans un calme relatif pour cette première mobilisation de l'année 2019. Mais des échauffourées ont éclaté entre forces de l'ordre et "gilets jaunes" dans plusieurs villes de l'Ouest dont Caen, Nantes et Bordeaux, tandis qu'à Rennes, un groupe de manifestants a cassé une porte d'accès à la mairie. A Rouen, où 2.000 personnes défilaient, un manifestant a été touché à la tête par des tirs de lanceurs de balles de défense. A Montpellier, quatre CRS et trois "gilets jaunes" ont été légèrement blessés à la suite de jets de pierres et de bouteilles, et cinq personnes interpellées. Six interpellations ont eu lieu également à Saint-Etienne pour des jets de projectiles sur les forces de l'ordre, outrage et violences envers personnes dépositaires de l'autorité publique.
A Toulouse, la mobilisation était en hausse par rapport au 29 décembre, avec au moins 2.000 "gilets jaunes" contre 1.350 samedi dernier. Mais en fin de journée, des jets de projectiles, des feux de poubelles et diverses dégradations ont donné lieu à 22 interpellations. A Lyon, des milliers de personnes ont défilé dans la rue dans un parcours erratique, investissant brièvement une partie de l'A7 qui passe dans la ville. A Bordeaux enfin, ils étaient environ 4.600 à manifester, retrouvant leur niveau de mobilisation d'avant les fêtes de fin d'année et consacrant la capitale de Nouvelle-Aquitaine comme l'un des bastions du mouvement. Au total, 56.500 forces de l'ordre ont été déployées samedi dans le pays.
Le mouvement se structure
En dehors des manifestations, "l’acte 8" des "gilets jaunes" aura marqué un tournant dans le mouvement. Une soixantaine de "gilets jaunes" venus de toute la France et rassemblés samedi à Marseille ont lancé leur mouvement citoyen national, baptisé "Gilets jaunes, le mouvement". Se présentant comme les "représentants de 'gilets jaunes' de toute la France", ils ont expliqué que l’objectif de ce mouvement sera de "coordonner les actions le plus largement sur le territoire, et de travailler à la création d’un vrai programme de société à travers l'ensemble des revendications", a expliqué Hayk Shahinyan, lors d'une conférence de presse, défendant un mouvement "horizontal" qui ne ressemble à "aucun parti politique ou syndicat". Il assure d’ailleurs que la question des élections européennes n’a pas été abordée samedi.
Mais signe que cette première dans le mouvement des "gilets jaunes" n’est pas du goût de tous, d’autres "gilets jaunes" sont venus devant les locaux du journal La Provence où se tenait la présentation du mouvement - à l’invitation de l’actionnaire principal du journal Bernard Tapie -, et les ont hué et insulté, leur reprochant de ne pas représenter "le peuple".