INTERVIEW - Cyclone Chido à Mayotte : «J'avais l'impression d'être téléporté ailleurs», raconte un habitant
Cinq jours après le passage du cyclone Chido, l'archipel de Mayotte panse ses plaies tant bien que mal. Ses habitants se remettent péniblement de la catastrophe qui a tout ravagé sur son passage. À l'image de Germain et Lucie dont Europe 1 a pu recueillir le témoignage.
Entre le 14 et le 15 décembre, le cyclone Chido a dévasté Mayotte. Balayé par des vents à plus de 210km/h, l'archipel a subi des dégâts considérables. Réseau téléphonique, eau, carburant... Tout vient à manquer et la population survit avec l'aide de la métropole. Emmanuel Macron s'est rendu sur place ce jeudi avec 4 tonnes d'aide alimentaire et sanitaire ainsi que des secouristes. Un hôpital de campagne nommé "Escrim" sera installé et opérationnel dès vendredi, a annoncé le président.
Europe 1 a pu s'entretenir avec Germain, réalisateur, et son épouse Lucie, infirmière à l'hôpital de Mamoudzou au service néonatal. Le couple, originaire de la métropole, raconte cette catastrophe vécue de l'intérieur.
Europe 1 : Avez-vous été prévenus avant l'arrivée du cyclone ?
Germain : Nous avons été prévenus quatre jours avant. Mercredi, ils [les services météorologiques, NDLR] sentaient que quelque chose se rapprochait. L’île n'est pas trop sujette aux cyclones. Tout le monde a plutôt pris les choses au sérieux quand le préfet a communiqué. Même si je pense qu'on a été nombreux à n'y croire qu'à moitié. Parce que ces derniers temps, les cyclones étaient systématiquement déviés grâce à Madagascar. Mais là, il est passé par le nord et on a été touché en plein cœur.
Dans quel état d'esprit se trouvaient les Mahorais autour de vous ? Sereins, inquiets, apeurés ?
Lucie : Je ne dirais pas que c'était de la peur, on était tous concernés. Moi j'ai été réquisitionné à l'hôpital de Mamoudzou, le jour même [samedi 18 décembre, NDLR]. À 17h, le vendredi, on m'a dit 'Lucie à 19 h, tu seras au boulot et tu ne vas pas ressortir avant lundi matin'. On nous a prévenus très tard dans la soirée du vendredi qu'il ne fallait absolument plus qu'on sorte. À partir de ce moment-là, on a eu des alertes sur nos téléphones. Ils sonnaient en permanence, même si les téléphones étaient éteints. Le samedi 14 décembre à 6h18, on a eu une alerte violette et là, on a su qu'il y allait vraiment avoir une grosse catastrophe.
Comment avez-vous vécu le passage du cyclone ? Étiez-vous confinés ensemble ?
Lucie : Non, on n'était pas ensemble. C'était le plus dur. On avait très peur pour les autres, pour nos familles, nos amis, parce qu'on n'avait aucune nouvelle. Plus de réseau, rien du tout. Moi, j'étais à l'hôpital à ce moment-là. Germain, lui, était chez nous.
Germain : Moi j'étais dans notre maison quand elle s'est envolée. Je pense que nous avons vécu quelque chose d'assez exceptionnel. J'étais avec mon équipe, je prépare un nouveau film à Mayotte. On a vu le toit s'envoler au fur et à mesure. On a protégé du mieux qu'on a pu ce qu’on avait et on s'est confiné dans le couloir, parce que c'est le meilleur endroit pour se protéger. Mais je pense que si ça durait 2h de plus, on y passait. On a eu beaucoup de chance. Pour sortir de la maison, on devait se faufiler dans un micro-passage, faire passer les affaires dès que c'était fini. Pendant la tempête, il n'y a pas eu de temps de pause, ça nous paraissait tellement long. Au début, on poussait les affaires dans le salon, puis on a vu que mon salon commençait à craquer. On a reculé dans une autre pièce, on s'est mis dans la chambre, on voyait que le plafond tenait. Et puis d'un coup, on a vu que ça s'humidifiait. Un trou s'est formé et nous sommes allés dans le couloir. Le plus dangereux, c’était l’écroulement de la maison.
Qu'avez-vous vu en sortant ? Dans quel état psychologique étiez-vous ?
Germain : J'avoue que je n’ai pas réalisé tout de suite. Ce n’est que maintenant, 5 jours après qu’on commence à réaliser. On a perdu notre maison. Mais tout le monde est logé à la même enseigne. Quand je suis sorti, c’est le silence qui m’a pris. Je n’ai pas reconnu où j'habitais, j'avais l'impression d'avoir été téléporté ailleurs. Je n'ai reconnu ni mon quartier, ni ma cour, ni la maison de ma propriétaire qui habitait juste en dessous. Tout avait changé, les arbres avaient été rasés, comme s'il y avait eu des bombes. Je n’ai jamais vécu de guerre de ma vie, mais je pense qu'il y avait ce sentiment de 'on sait plus où on habite, on ne sait plus où on est, on est perdu'".
Et pour vous, Lucie, que s'est-il passé à l'hôpital ?
Lucie : Pour moi, ça a commencé quand toutes les fenêtres de l’hôpital ont commencé à éclater. Il fallait qu'on garde les patients et leurs familles en vie. Qu'on essaie de sauver le plus possible de matériel aussi, sans parler de nous. Nous avions les bébés dans les bras pendant qu'on essayait de tenir les fenêtres et les portes. Ça craquait au fur et à mesure, on était inondé. Tout était plein d'eau, on essayait d'éponger en même temps. Tout le monde s'y mettait. Nous voulions garder en vie le plus de patients possible. On savait déjà qu'après, on allait en accueillir beaucoup et il fallait sauver le plus de matériel possible.
Comment avez-vous fait pour, en même temps, protéger des bébés, tenir une vitre et éviter de vous noyer ?
Lucie : À ce moment-là, on a une poussée d'adrénaline, on ne pense pas à nous. Il fallait boucher les fenêtres, colmater les bouches d'aérations pour ne pas qu'elles s'envolent. J'ai fait 72h de garde d'affilée, sans dormir, pour essayer d'aider. On a sauvé la plupart des étages. Le service de réanimation néonatale fonctionne encore avec de l'électricité et un accès à l'eau. Le plus important est de limiter la propagation des maladies.
Comptez-vous des décès dans votre service ?
Lucie : Dans mon service, on a réussi à sauver tout le monde, c'est une chance énorme. Le service était coupé en deux sur deux étages différents. On a agi vite. Concrètement, on avait un bébé dans les bras et on avait un binôme qui nous suivait avec le berceau. Le risque était de perdre l'identité des bébés. On a fait très attention à ça pour qu’ils soient bien attribués à leurs mamans par la suite.
Et maintenant, avez-vous accès à de la nourriture et de l'eau ? Le réseau mobile est-il rétabli ?
Germain : Nous attendons les cargaisons d'aide. Il y a deux points d'eau mais avec des queues à n'en plus finir. Une grande surface a rouvert. On arrive à aller acheter des packs d'eau, on récupère ce qu'on peut, on économise. On compte le nombre de packs d'eau qu'on consomme par jour, on ne se lave plus.
Lucie : Les déchets ne sont pas ramassés. Si tout le monde est malade à cause du choléra ou autres, la situation va empirer. On n’arrive pas à avoir assez de matériel pour que l'hôpital puisse fonctionner et gérer tous les patients.
S'agissant du carburant, quelle est la situation ?
Germain : Il y a deux stations-service qui tournent actuellement sur les 5 présentes sur l’île. Un de nos voisins a voulu s’y rendre mais il y a plus d’un kilomètre de queue devant les deux stations.
Lucie : Certains mahorais ont dormi dans leur voiture toute la nuit pour essayer d'avoir de l'essence au matin...
Comment vous sentez-vous mentalement, quelques jours après le passage du cyclone ?
Lucie : Pour ma part, ç'a été un soulagement énorme quand j'ai retrouvé Germain le lundi matin. Ce cyclone m’a fait réaliser qu’il fallait que je sois là pour lui quoi qu’il arrive. Quand je suis rentré chez nous, je n’avais plus rien. Mais Germain a sauvé quelques choses pour moi, il ne m’a pas oublié. En vivant à Mayotte, il y a beaucoup de choses matérielles auxquelles on ne s'attachait plus.
Et pour vous, Germain ?
Germain : Ce qui m'a fait tenir c'est que j'étais avec une partie de mon équipe. J’ai tenu aussi jusqu’à retrouver Lucie, je ne pouvais pas abandonner. Un de mes amis n’a pas survécu au cyclone. Sincèrement, je pense que le nombre de morts va se compter en milliers voire en dizaines de milliers. Officiellement, on est 300.000 habitants sur l’île mais officieusement, nous sommes presque le double. Mais l’état d'esprit est positif en général ici. Mon inquiétude, c'est l'avenir. On va mieux sur certains points mais qu’en est-il de demain ? C’est un petit archipel de 374km², coupé du monde. Madagascar est à plus de 300 km en bateau. Donc on espère que l'Afrique du Sud va pouvoir nous aider, la France aussi bien entendu. On a compris que le monde entier nous regardait et ça nous a soulagés. Maintenant, il faut des actes.
Qu’allez-vous faire maintenant ? Allez-vous aider à reconstruire l’île ou souhaitez-vous partir dès que possible ?
Lucie : C'est très difficile de se projeter. Impossible à dire pour l’instant. On attend déjà de s'en sortir ici, ensuite, nous verrons.