Il est devenu, en quelques semaines, une figure incontournable des "gilets jaunes". Eric Drouet, 33 ans, peut se targuer d’une certaine légitimité. Ce chauffeur routier fut en effet l’un des premiers à appeler à une journée de mobilisation le 17 novembre contre la flambée des prix du carburant. Depuis, la mobilisation est devenue mouvement, les "gilets jaunes" sont partout, et Eric Drouet est devenu un habitué des plateaux télé. Et en quelques semaines, il a évolué en quelques semaines à l’image de la révolte, élargissant le champ des revendications, relayant volontiers des thèses complotistes, et surtout radicalisant sensiblement son propos. Jusqu’à appeler, mercredi soir sur BFMTV, à marcher sur l’Elysée samedi prochain et à entrer d’autorité dans le palais présidentiel. Des propos qui lui valent une enquête ouverte par le parquet de Paris pour "provocation à la commission d'un crime".
"Si on arrive devant l'Elysée, on rentre dedans" déclare un gilet jaune #GJSortirdelaCrisepic.twitter.com/C4YymVqQab
— BFMTV (@BFMTV) 5 décembre 2018
Chauffeur routier, père de famille et fan de grosses cylindrées
Résidant à Melun, Eric Drouet est un chauffeur routier, père d’une petite fille et fan de tuning. Membre d’une association d’automobilistes, le Muster Crew, il relaye régulièrement, avec un collègue, son mécontentement face à la hausse des prix du carburant. Et puis en tombant sur la pétition de Priscillia Ludosky, autre figure des "gilets jaunes", début novembre, il décide de lancer une journée de mobilisation le 17 novembre. "On organisait souvent des réunions de passionnés de voitures où on roulait ensemble. Pour le 17 novembre, l'idée à la base, c'était d'organiser un road-trip sur lepériphérique de Paris mais, cette fois, pour dénoncer la hausse des prix", expliquait-il à Franceinfo début novembre.
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On connaît la suite. Le mouvement fait tache d’huile, et Eric Drouet devient l’un des visages de la contestation. Ses débuts médiatiques sont toutefois difficiles. Après un passage compliqué sur BFMTV le 13 novembre, il disparaît même des radars pendant quelques jours. Avant de faire son retour via les réseaux sociaux. Il créé régulièrement des pages Facebook, pour l’acte 2 de la mobilisation, le 24 novembre, par exemple. Et c’est La France en colère !!! qui rencontre le plus de succès, avec près de 230.000 membres. Le moyen de communication privilégié par Eric Drouet ? Les vidéos, à travers des Facebook Live réalisés depuis son camion. Mais après une légère diète médiatique, il revient début décembre sur le devant de la chaîne, multipliant les interventions télé ou radio.
Un porte-parole qui conteste sa propre légitimité
Si Eric Drouet est devenu aussi présent médiatiquement, c’est parce qu’il est identifié par le grand public comme l’un des porte-parole du mouvement. Or, ce titre, le jeune homme semble avoir parfois du mal à l’assumer. Ainsi, quand il fait partie des huit personnes désignées pour incarner le mouvement le 26 novembre, il accepte de rencontrer François de Rugy, ministre de la Transition écologique dès le lendemain, mais refuse l’invitation du Premier ministre quelques jours plus tard. "Aucune délégation n'a encore le rôle de représenter les ‘gilets jaunes’", explique-t-il sur Facebook.
Eric Drouet illustre là l’une des difficultés des "gilets jaunes" : se structurer et faire émerger des leaders légitimes aux yeux de tous. Pour l’heure, tous sont contestés. D’ailleurs, le chauffeur routier a mis en avant ces divisions pour expliquer pourquoi il avait accepté l’invitation de BFM mercredi soir. "Sinon ta des Cauchy et mouraud qui y vont !!", écrit-il sur la page Facebook La France énervée, en référence à Benjamin Cauchy et Jacline Mouraud, eux aussi très présents dans les médias. "Je suis pas le meilleure je sais et je m'en passerais bien mais voilà ils sont pas loin donc je serai là !!! Les plateaux c'est pas facile mais on fait avec !! Confiance en personne donc voilà !", poursuit-il dans ce message non exempts, comme tous les autres, de fautes d’orthographe.
Complotisme et radicalisation
Le cas Eric Drouet est aussi révélateur parce qu’il symbolise la radicalisation, et parfois les dérives, du mouvement des "gilets jaunes". S’il reste méfiant vis-à-vis de la plupart des thèses complotistes qui nourrissent parfois la colère des "gilets jaunes", comme celles sur le pacte de Marrakech ou celle assurant que la France n’avait plus de Constitution depuis le 1er janvier 2017, il adhère volontiers à d’autres. Dans l’une de ses vidéos, repérée par La Croix, il évoque ainsi l’influence des médias lors de la dernière présidentielle. "Les candidats n’ont pas les mêmes moyens financiers car les banques achètent les médias pour faire monter leurs candidats. Ceux-ci médiatisent légèrement les autres pour faire croire qu’ils ont tous la même chance", disait-il face caméra.
Mais depuis plusieurs jours, Eric Drouet illustre aussi la radicalisation des "gilets jaunes", ainsi quand il appelle à aller à l’Elysée samedi prochain. "Tous les gens veulent aller là-haut, c'est le symbole de ce gouvernement", a lancé l'intéressé mercredi soir sur BFMTV, un léger sourire sur les lèvres. Et une fois devant ? "On rentre dedans (...) pour être écoutés", insiste-t-il.
" Je crois plus en cette République dsl!! "
Beaucoup ont interprété cette sortie, simple relais d’un message posté sur Facebook quelques jours plus tôt, comme des attaques à l’encontre de la République et comme un appel gravissime au putsch, en premier lieu les ministres Marlène Schiappa et François de Rugy, présents sur le plateau ce soir-là. Eric Drouet a assumé sur Facebook peu de temps après la fin de l’émission. "Ne jamais mettre en cause ma détermination ça serais mal me connaître !! Je croit plus en cette république dsl (désolé) !!", écrit-il. "La France a mon sens besoin de renouveau !! Beaucoup trop de gens ce meurt !!! (sic)"
Alors même qu’Eric Drouet n’était pas le plus virulent des "gilets jaunes", son discours s’est donc clairement radicalisé ces derniers jours. Une raison de plus, pour le gouvernement et les autorités, de craindre une nouvelle journée de violences samedi à Paris.