Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
Le 10 novembre 1989, en racontant en direct dans le journal de 18H00 d’Europe 1, le mur de Berlin qui s’effondrait sous mes yeux, je pensais avoir vécu l’évènement le plus fort de toute ma vie de journaliste.
22 ans plus tard, au Caire, en racontant dans ce même journal de 18H00 l’effondrement sous mes yeux d’une indestructible dictature militaire, déboulonnée par la seule force du peuple sur une place, je pensais avoir vécu la plus intense des émotions de ma vie de journaliste.
Et pourtant Wendy, 9 ans plus tard après ce printemps 2020, j’ai la sensation d’avoir été confronté au plus grand évènement de toute ma carrière de journaliste, combinant la force de l’évènement de 1989 et l’émotion à fleur de peau du printemps 2011.
Ces trois mois… enfermé… dans une étrange sensation de temps suspendu, cette planète qui soudain s’arrête de tourner, nous tous reliés au monde par un fil si ténu entre fiction glaçante et réalité angoissante…
L’impossibilité de côtoyer la réalité du terrain – essence même de notre métier- l’obligation (brisant un tabou de la profession) d’écrire et de parler à la première personne…
Pouvoir tous les dimanche soir avec vous, Wendy, transmettre à distance et écrire mon ressenti fut une chance formidable, et à l’occasion de cette dernière chronique de la saison, c’est le moment de vous remercier de m’avoir, en septembre dernier, offert ce précieux créneau d’expression.
Nous nous souvenons tous de ce que nous faisions le 11 septembre 2001 lorsque NY s’effondrait, nous nous souvenons tous de ce que nous faisions le 13 novembre 2015 lorsque Paris saignait.
Sans la même dimension tragique bien évidemment, nous nous sommes tous retrouvés plongés, dans la même stupeur collective au cours de ces 3 mois du printemps 2020.
En remontant le fil, Wendy, de ces 34 chroniques que nous avons partagés depuis septembre 2019 je suis saisi d’une forme de vertige.
Tout ce qui nous semblait « énorme » à un instant T, Balkany en prison, Neymar conspué, les dromadaires australiens mitraillés sur un continent en feu, le procès Joxe et la vague « me too », l’Angleterre qui quitte le navire européen, tout cela devenant si « petit », oublié, balayé par la tsunami pandémique…
Que restera-t-il de ce printemps 2020 ???
Devrons-nous demain chroniquer l’air d’un temps nouveau ?
J’y croirais presque… en voyant l’enthousiasme et le sérieux de ces 150 citoyens tirés au sort sur la pelouse du Palais de l’Elysée, esquisser les contours d’un nouveau logiciel de décision politique. J’y croirais presque en voyant cette nouvelle génération d’élus féminisés et verdis qui s’apprêtent à prendre les rênes de toutes les plus grandes villes de France de Bordeaux à Lyon, de Marseille à Strasbourg, j’y croirais presque en découvrant qu’après 3 mois de désespérance, les libraires en France n’ont jamais autant vendu de livres depuis le début du déconfinement…
Devrons-nous au contraire chroniquer demain un monde « Houellebecquien » celui d’avant en pire ?
Il m’arrive de le redouter quand jour après jour, Renault, la Halle aux chaussures, Airbus s’égrène et s’amplifie la longue litanie des plans sociaux Il m’arrive de le redouter comme ces 56% de salariés qui expriment leur peur d’un retour au bureau après 3 mois de confinement, il m’arrive de le redouter en découvrant cette l’Amérique Trumpienne qui décide de préempter à coups de milliards de dollars pour elle et pour elle seule les stocks disponibles de Remdesivir qui sera peut-être demain le seul médicament protecteur face au virus .
L’espérer ou le redouter ce monde d’après, ce sera peut-être demain l’objet d’une autre série de chroniques…
Et cela restera l’essence même de notre métier, Wendy, raconter ces temps qui changent surtout quand ils resteront hors norme.