Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
"Et voilà qu’à quelques heures de la libération tant attendue, de la respiration promise, c’est une étrange sensation d’angoisse qui m’étreint. Cette libération qu’on a affublée d’un terme que même mon correcteur d’orthographe ne reconnait pas : Dé-confinement
Déconfinement, comme s’il fallait encore me signifier que le confinement n’est pas loin, qu’il rôde à portée d’une quinte de toux, d’un postillon ou d’une simple poignée de mains. Et cette angoisse, que j’exorcise avec ce refrain qui m’obsède : I want to hold your hand.
Oui, j’ai envie de prendre cette main qu’on me refuse de saisir, non je ne veux pas du scénario qui se dessine dans quelques heures , ce monde où l’on ne verra plus le visage de l’autre, masqué, ce monde où l’on a plus le droit d’embrasser, ce monde où je ne reverrai peut-être plus jamais mon papa dans un ehpad sans une vitre de séparation, ce monde où je lirai la peur dans le regard de l’institutrice qui hésitera à serrer dans ses bras ma petite fille qui pleure dans la cour de récréation. Alors oui, j’ai la rage, et oui, je veux serrer des mains.
Prendre une main pour ne pas devenir la machine à simplement travailler et produire que l’on veut faire de moi. Partir au travail masqué, le matin sans prendre un petit café au comptoir, arriver au bureau sans embrasser mes collègues, repartir le soir en passant devant des cinémas fermés, contraint de consommer devant mon écran des produits formatés par l’industrie du net.
Échanger des balles mais pas de poignée de main sur un cour de tennis le week-end, regarder un match de foot sur son canapé sans entendre le chœur et les cœurs hurler « you’ll never walk alone » des supporters ; Me couvrir les mains de gel pour choisir en moins d’un quart d’heure dans les étals du Livre Ecalarte, la librairie préférée de mon quartier, le livre qui me transportera ailleurs. Oui, Wendy, il y a de l’angoisse, et il y a de la rage en moi.
Je me souviens de notre sidération en novembre 2015, après la nuit du Bataclan, ma colère deux jours plus tard en allant prendre un avion bloqué pendant trois heures à l’aéroport pour d’insupportables fouilles au corps, me disant alors « ils ont gagné ».
Mais je me souviens aussi de ma si belle émotion six jours plus tard lorsque nous nous sommes retrouvés à l’Alhambra à quelques dizaines de mètres du bataclan pour un magnifique concert de Richard Hawley. Là aussi nous fûmes fouillés, là aussi nous attendîmes deux heures, mais cette fois ci, nous ne nous disions pas « ils ont gagné », car nous étions ensemble, et être là, ensemble, ce soir-là, était une manière d’être vivant et plus fort.
Demain l’angoisse et la rage m’étreignent car, cette fois ci, ce satané virus n’a pas fait de l’autre un allié mais une menace. Alors, pour vaincre cette peur, et pour retrouver le goût du combat, je me souviens que ce soir-là, sur la scène de l’Alhambra, dix jours après le Bataclan, Richard Hawley nous avait offert une magnifique version de cette chanson, All you need is love, que nous reprîmes en cœur et qui confirme que oui, les Beatles au début des sixties avaient déjà tout compris. Puissions-nous très vite la reprendre, ensemble, en chœur.