Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
Bonsoir Wendy,
C’est une image, elle est ancrée en moi, obsédante depuis une semaine maintenant. Des snipers embarqués à bord d’hélicoptères pourchassent dans le désert australien des troupeaux assoiffés de dromadaires sauvages pour les abattre froidement à coup de rafales. Un massacre à grande échelle qui va durer 5 jours. A l’arrivée on fera les comptes : 5.000 bêtes abattues. Nous sommes dans l’état d’Australie-Méridionale, sur un continent en proie au plus gigantesque incendie de son histoire. Assoiffés, les dromadaires sauvages tentent d’investir les derniers puits d’eau, ils menacent les réserves des hommes, certaines bêtes épuisées, n’ont pas la force de remonter des puits, leurs cadavres contaminent l’eau potable.
" Sans dromadaires, il n’y aurait pas eu l’homme dans cette partie du monde hostile "
Le dromadaire sauvage sur le continent en flamme, est devenu un danger pour l’homme. Terrible retournement de l’histoire, quand on sait que ces bêtes furent artificiellement déportées d’Inde au milieu du XIXème siècle ont permis, qu’elles ont permis à l’homme de conquérir l’aride désert australien. Sans dromadaires, pas de transports de marchandises, pas de chemin de fer, il n’y aurait pas eu l’homme tout simplement dans cette partie du monde hostile.
200 ans plus tard, voilà l’homme contrant de se muer en prédateur cruel. 10.000 km² brûlés sur le continent australien, comme si pour nous en Europe, le Portugal avait été réduit en cendre en moins de 5 mois.
Sur l’île de Kangourou, à 45 km en ferry de la grande ville d’Adélaïde, l’un des plus beaux sanctuaires animaliers du monde, sur un sol calciné, jonché de cadavres d’animaux, des rangers tentent depuis une semaine maintenant de sauver des bébés kangourous et koalas agonisants. Et pendant ce temps-là, du côté de Davos.
Et pourtant et pourtant, Wendy, il y a aussi une toute petite musique, nouvelle, qui s’est fait entendre du côté de Davos, cette année. Voilà 750 chefs d’entreprise du monde entier qui formulent oui, l’engagement de ne plus émettre le moindre gaz à effet de serre d’ici 2050. 750 chefs d’entreprise, qui ont peut-être été émus par les cadavres de dromadaires, mais qui ont peut-être surtout regardé les derniers chiffres de la bourse mondiale, constatant que le TESLA, 1° fabricant mondial de voitures électriques, (tant raillé il y a quelques années), valait aujourd’hui plus cher que General Motors et Ford réunis, que les analystes de la grande banque suisse UBS, estimaient à 10 000 milliards de dollars le transfert des fonds qui vont basculer du pétrole à l’énergie verte d’ici 2050.
" Dans l’urgence, ce ne sont pas les grands qui agissent mais bel et bien les petits "
On pourrait en sauver des dromadaires, on pourrait en éviter des incendies avec 10 000 milliards de dollars. En attendant dans l’urgence, ce ne sont pas les grands qui agissent mais bel et bien les petits.
Regardez, Caroline Masson, vous ne la connaissez pas. Elle est directrice d’un parc animalier dans l’Hérault, c’est elle qui a lancé un appel sur Facebook pour que l’on envoie toutes affaires cessantes en Australie des petits pochons de tissus, seuls moyens de sauver les bébés kangourous et ko-alas menacés de mort parce que privés de leurs poches maternelles. L’appel Facebook a été reçu en quelques heures par 2 millions de personnes, et ce sont des milliers de pochons, qui ont été fabriqués partout en France, dans des EPADHS, des écoles par des milliers de mains anonymes animées par le seul désir d’agir.
Regardez, Julien Job, directeur d’un centre pour camélidés, à Feignies dans le Nord, qui ouvre une cagnotte en ligne pour tenter de rapatrier en avion, chez lui quelques 200 dromadaires. Certains n’y verront que d’impuissantes et dérisoires gouttes d’eau jetées sur la fournaise australienne, et pourtant ces signes, il faut s’en saisir, qu’on les entende tout là-haut jusque dans les montagnes suisses de Davos. Ils reflètent une profonde inquiétude humaine, comme si l’Australie en feu et ses cadavres de dromadaires étaient le miroir de notre angoisse collective.
De cette terreur d’une apocalypse soudain si proche, sachons Wendy au moins nous en abreuver, dans ce qu’il nous reste de puit de conscience, pour rêver d’un autre monde comme celui que j’ai eu la chance de côtoyer il y a quelques jours en traversant un magnifique désert sur le dos d’un dromadaire, sur les traces de ce qui était alors une civilisation grandiose, épanouie, basée sur le commerce et les échanges, c’était le temps, encore où hommes et dromadaires vivaient en parfaite harmonie.