Depuis des mois, l'eau courante est distribuée au compte-gouttes à Mayotte. Bientôt, elle ne sera accessible qu'un jour sur trois dans le département le plus pauvre de France, une crise qui a déjà des conséquences sur la santé, s'inquiètent des soignants. A Chiconi, dans l'ouest de Grande-Terre, tous les deux jours c'est le même rituel. Quelques heures avant la coupure, Florent Baldet attrape un à un les seaux et grandes poubelles installés depuis plusieurs mois dans sa salle de bain, ses toilettes et sa cuisine, pour les remplir à ras bord.
"Nous sommes cinq en colocation. Ça demande un peu d'organisation", lance le professeur de 29 ans devant un bac d'eau, sur lequel il a installé un tuyau avec une douchette arrivant directement dans l'évier de sa cuisine. L'archipel français de l'océan Indien ne parvient plus à répondre aux besoins de sa population - 300.000 habitants selon l'Insee, plus selon des estimations évoquant la présence de sans-papiers venus principalement des Comores voisines.
Une consommation d'eau trop importante
La consommation d'eau s'établit désormais à environ 40.000 m3, quand les infrastructures n'en produisent pas plus de 38.000. Et ce alors qu'une forte sécheresse, inédite depuis 1997 selon les autorités, empêche les retenues collinaires - qui assurent 80 % de l'approvisionnement en eau avec les rivières - de se recharger correctement.
Chez Hadidja Saindou, employée de la bibliothèque de Chiconi, le quotidien n'est pas simple. "Après les coupures, l'eau est marron. On n'a même pas envie de se laver les mains. Je dois attendre au moins 12 heures pour qu'elle redevienne claire et pouvoir faire des réserves", raconte la mère de cinq enfants, qui les élève seule. Le plus difficile : "garder des sanitaires propres".
Alors elle appréhende le passage à des coupures de 48 heures, contre 24 actuellement. A compter du 4 septembre, les habitants de Mayotte n'auront en effet accès à l'eau courante qu'un jour sur trois.
Chasse aux bactéries
La situation est d'autant plus dramatique dans les quartiers n'ayant pas accès à l'eau courante. A Kahani (ouest), une quinzaine de femmes avec leurs enfants patientent, bidons en plastique au pied, devant le seul robinet qui alimente tout le quartier. "Parfois, nous sommes plus de 60. Chacun attend son tour", raconte Djabirati Manrouf Binti, en salouva (tenue traditionnelle) jaune et bleu, un bidon d'eau sur la tête.
La mère de famille, qui vit ici avec cinq de ses six enfants, dont le plus jeune a 2 ans, vient d'ordinaire faire des réserves d'eau chaque jour. Depuis quelques semaines, elle fait des stocks pour anticiper les coupures mais semble désemparée à l'idée de n'avoir accès à l'eau qu'un jour sur trois.
"On ne sait pas comment on va faire. Et puis il y a les maladies. On nous a dit de faire bouillir l'eau parce qu'elle n'est pas potable. Certains vont acheter de l'eau en bouteille, mais pour moi c'est trop cher", souffle-t-elle. Des bouteilles vendues entre 5 et 8 euros le pack de six, dans un territoire où plus de trois habitants sur quatre vivent sous le seuil de pauvreté national.
Troubles digestifs
Pour consommer l'eau du robinet, l'agence régionale de santé (ARS) recommande en effet de la faire bouillir car des bactéries peuvent s'infiltrer dans les canalisations lors des coupures. Jonathan Cambriels, infirmier aux urgences de l'hôpital de Petite-Terre, alerte sur le nombre de patients présentant des troubles digestifs: "Depuis trois semaines, on accueille au moins une dizaine de personnes chaque jour souffrant de vomissements, de diarrhées ou de déshydratations".
Actuellement, "cinq enfants sont hospitalisés au centre hospitalier de Mayotte pour déshydratation avancée, ils ont perdu beaucoup de poids", souligne un pédiatre souhaitant conserver l'anonymat. Au-delà des gastro-entérites, des professionnels de santé s'inquiètent "de voir des épidémies de fièvre typhoïde et de choléra, dans un contexte où le manque d'hygiène est déjà très présent", selon Jonathan Cambriels. "Les problèmes cutanés et les plaies qui se sur-infectent ne sont pas rares".
Les soignants doivent y faire face alors qu'ils souffrent d'un sous-effectif chronique. "En pédiatrie, au centre hospitalier de Mamoudzou, il y a 5 médecins contre 15 habituellement. Et aux urgences, ils ne sont souvent que 3 alors qu'il faudrait 7 urgentistes pour que le service fonctionne correctement", alerte le pédiatre du CHM.