"La maîtresse, la directrice, tout le monde était au courant. Même les parents d'élèves". La mère du petit Jadhen, 6 ans, est inconsolable. Son fils, allergique au lactose, est mort jeudi dernier dans une école de Limas, dans le Beaujolais, après avoir mangé une crêpe à l'occasion du carnaval. L'autopsie pratiquée vendredi a confirmé que l'enfant était décédé d'un choc anaphylactique, une réaction allergique immédiate. Selon le procureur de Villefranche-sur-Saône, c'est bien "la maîtresse qui a proposé la crêpe à l'enfant" alors que "son régime alimentaire était connu" du personnel. Car en théorie, tout est prévu pour éviter ce genre de drame.
Un protocole obligatoire
Selon sa maman, contactée par Europe 1, Jadhen bénéficiait bien d'un "protocole". Ce PAI, pour "projet d'accueil individualisé" est un document destiné aux enfants atteints d'une pathologie chronique, et pour lesquels des mesures doivent être mises en place pendant le temps scolaire ou à la cantine. Il précise le type d’allergie dont il souffre, aménage sa scolarité en fonction de ses besoins spécifiques et indique la marche à suivre en cas d’urgence. Ce document est rempli chaque année par le médecin traitant ou l'allergologue, dans le cas des allergies alimentaires. Selon les dispositions exposées dans le code de l'éducation, une réunion de concertation doit avoir lieu avec la direction de l'école, la cantine si l'enfant est censé y manger, le médecin scolaire et les parents. Autant d'acteurs censés signer en même temps le PAI.
"Ça, c'est la théorie. Dans la pratique, il circule souvent et chacun signe à tour de rôle", précise auprès d'Europe1.fr Pascale Couratier, porte-parole de l’Association française pour la prévention des allergies (Afpral). "On comprend bien qu'il y a très peu de médecins scolaires, qu'ils ont aussi des emplois du temps très chargés, et que ce n'est donc pas toujours évident d'organiser une réunion. Mais durant cette réunion, le médecin scolaire est aussi censé montrer comment fonctionne la trousse d'urgence, qui comprend différents médicaments, et notamment un stylo d'adrénaline pour les enfants allergiques sévères", détaille-t-elle encore.
Une vigilance de tous les instants
"Chaque anniversaire, dans chaque classe, à chaque fois, mon fils n'y allait pas, de peur que quelqu'un lui donne du lait. Je ne l'ai même pas inscrit à la cantine", témoigne sur Europe 1 la maman de Jadhen, pointant du doigt la responsabilité de l'institutrice de grande section de maternelle. "Parce que mon fils n'a pas mangé une crêpe. Il m'a dit qu'il en avait mangé trois ou quatre". La maîtresse aurait-t-elle agi par négligence ? C'est précisément ce que l'enquête cherche à déterminer. Pascale Couratier insiste en tout cas sur la nécessité de former le personnel enseignant. "On a tout ce qu'il faut. C'est vraiment ce qui manque : il faut qu'il y ait une prise de conscience que l'allergie alimentaire peut être grave", enjoint la porte-parole de l'Afpral.
"Si toute l'année, toutes les mesures sont mises en place et que l'enfant ne rencontre pas l'allergène, tout va bien. On est habitué, cet enfant fait super attention, les parents sont vigilants, il ne mange pas à la cantine, il n'y a donc aucun souci. Et malheureusement, un jour on oublie. Il faut qu'il y ait un panneau rouge dans le placard de l'instituteur, par exemple, en disant 'attention, il faut que j'y pense tous les jours'. Même si c'est un produit rare, qu'on n'a pas l'habitude de consommer, il faut rester vigilant", répète-t-elle à l'envi.
Un personnel pas toujours formé
Et d'insister sur la nécessité de sensibiliser les équipes pédagogiques chaque année. "Car c'est justement quand il y a des renouvellements d'une année sur l'autre, qu'il n'y a juste qu'une petite signature et pas forcément de nouvelle réunion". Depuis 2015, l'Afpral a d'ailleurs lancé une campagne spécifique à l'anaphylaxie, en publiant un guide à destination des enseignants notamment. Réalisé avec des spécialistes de l'allergie, le document s'accompagne d'une trousse d'urgence factice afin que les médecins scolaires puissent montrer aux enseignants comment utiliser les stylos d'adrénaline. Jadhen en possédait un.
Très simple d'utilisation, la piqûre se fait dans la cuisse, à travers le vêtement. "Et la communauté scientifique l'assure : il n'y a aucun risque à l'utiliser, même si on se trompe, même si l'enfant ne fait pas une réaction allergique", complète Pascale Couratier. Reste à savoir si les signes d'allergie étaient visibles lorsque la mère de Jadhen est venue le récupérer à l'école, jeudi à 16h20.
Après la mort de Bastien, 8 ans, en 2007 à Septèmes-les-Vallons, dans les Bouches-du-Rhône, et de Mathias, 9 ans, en 2014 à Jujurieux, dans l'Ain, c’est la troisième fois qu'un enfant souffrant d'allergie alimentaire meurt dans le cadre scolaire. À chaque fois, ils faisaient l'objet d'un protocole alimentaire spécifique.
De plus en plus d'allergies alimentaires
Selon l’Agence Française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), 6,2% des enfants en âge scolaire sont atteints d’allergies alimentaires. Et ce chiffre ne cesse d'augmenter. Le nombre de formes sévères d’allergies alimentaires aurait ainsi été multiplié par cinq depuis les années 1980. Parmi les aliments les plus souvent incriminés, l'œuf figure en première place chez les enfants (34 % des cas), devant l’arachide (25%), le lait (8%) et le poisson (5%).