"Je n'ai ni ADN, ni empreintes digitales, ni vidéosurveillance. Nous sommes en 1974 !" Avant de demander à la cour d'assises spéciale de condamner Ilich Ramirez Sanchez, alias Carlos, à la perpétuité pour l'attentat du Drugstore Publicis, l'avocat général a pointé les difficultés d'un drôle de procès, lundi. Plus de quarante ans après l'attaque à la grenade, qui avait fait deux morts et des dizaines de blessés à Paris, le Vénézuélien, s'est obstiné à clamer son innocence pendant les deux semaines d'audience, face à de rares témoins aux souvenirs flous.
Un procès "extravagant". "Quel intérêt de faire ce procès si longtemps après les faits ? C'est extravagant", dénonçait dès la mi-mars Isabelle Coutant-Peyre, avocate et épouse de Carlos. La défense elle-même évoquait la prescription des faits. Mais au terme d'une bataille procédurale, la justice avait rejeté l'argument, estimant que cette prescription avait été interrompue par les actes de procédure accomplis dans les autres dossiers Carlos, les faits s'inscrivant "dans la persévérance d'un engagement terroriste".
Clos par la Cour de cassation, le débat ne l'était pas dans la salle des assises, où l'avocat général, le président et les conseils de Carlos n'ont cessé de rappeler que quarante-trois années de procédure rendaient l'examen des faits extrêmement compliqué. En raison du décès de nombreux protagonistes, la faiblesse de l'oralité des débats a souvent dû être complétée par de longues lectures procédurales, de procès-verbaux d'audition remontant à plusieurs dizaines d'années.
"Je ne m'en rappelle plus du tout". Sur le papier, l'affaire semble pourtant entendue : Ilich Ramirez Sanchez se trouve au coeur d'un faisceau de charges qui le désigne comme l'auteur de l'attentat. Il y a, notamment, les témoignages d'ancien compagnons d'armes, le circuit de la grenade utilisée et une interview datant de 1979, où l'accusé a revendiqué les faits, avant de contester avoir accordé l'entretien. Mais à la barre, plusieurs de ces éléments ont semblé vaciller.
L'ex-maîtresse de Carlos, Amparo Silva Masmela, qui avait affirmé aux enquêteurs que le Vénézuélien lui avait confié que son "groupe" était à l'origine de l'attentat du Drugstore, ne se souvient par exemple plus de grand chose. "J'ai dit tout ça ? Je ne m'en rappelle plus du tout", a-t-elle soufflé au procès. Le terroriste repenti Joachim Klein, à qui l'accusé aurait fait les mêmes confidences, s'est lui pris les pieds dans le tapis en situant la conversation à une période où il ne parlait pas anglais, et Carlos pas allemand.
Deux témoins oculaires seulement. Seuls Robert Bourgi, vétéran de la Françafrique, au centre de l'actualité pour avoir acheté des costumes à François Fillon, et son épouse Catherine, ont assumé leur mise en cause de Carlos, sans sembler mieux se souvenir du détail des faits. Tous deux dînaient dans le restaurant du Drugstore lorsque Catherine Bourgi a vu "un homme qui a fait le geste de jeter quelque chose". Son mari, assis dos à la scène, dit avoir eu "juste le temps de (se) retourner et de voir le personnage qui s'enfuyait". Sur des photos présentées par les enquêteurs lors de plusieurs auditions, tous deux ont reconnu Carlos. "Les traits me semblaient correspondre aux photos qu'on m'a présentées", a bafouillé l'épouse du sulfureux avocat à la barre.
Les autres témoins oculaires de la scène sont tous décédés. Tout comme les experts de l'époque. Au procès, c'est un de leurs confrères qui a dû conforter la thèse de l'accusation, le nez sur les rapports balistiques de l'époque. Du pain béni pour la défense, qui n'a pas manqué de le questionner sur le détail des constatations de ses aînés. Il a néanmoins confirmé que la grenade du Drugstore provenait du même lot, volé dans un camp américain en Allemagne, que celle retrouvée chez la maîtresse de Carlos, et que celle utilisée lors d'une prise d'otage de l'armée rouge japonaise, proche du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), auquel appartenait l'accusé.
Des trous, manques et oublis qui font planer une infime incertitude sur l'issue du dernier procès de Carlos en France, dont le verdict est attendu mardi. Quant au sort du célèbre terroriste, il ne changera de toute façon pas grand chose : reconnu coupable du meurtre de trois hommes en 1975 à Paris, et de quatre attentats à l'explosif entre 1982 et 1983, Ilich Ramirez Sanchez a déjà été condamné deux fois à la peine maximale.