Tous les matins, pendant six jours, un important dispositif sécuritaire a accompagné Rédoine Faïd jusqu'aux assises du Nord. Des forces spéciales du GIGN et un hélicoptère, pour un accusé pas comme les autres, qui affirme n'avoir fait que répondre à "l'appel de la liberté". Jugé aux côtés de quatre complices présumés pour sa spectaculaire évasion de la prison de Sequedin, en avril 2013, le médiatique truand a été condamné à dix ans de réclusion, mardi.
"On m'a envoyé là pour bousiller ma famille". "J'étais une patate chaude, une cocotte-minute, dans tous mes états", avait justifié l'accusé à la barre, au premier jour de son procès. Deux ans avant son évasion, l'auteur d'une autobiographie où il se disait repenti du grand banditisme avait été transféré de Fresnes, en région parisienne, à Sequedin, en banlieue de Lille. "On m'a envoyé à 200 kilomètres de chez moi, mes proches devaient se lever à 4 heures du matin pour me voir lors de parloirs de quelques minutes. On m'a envoyé là pour bousiller ma famille, pour que je m'allonge."
" L'appel de la liberté a été plus fort "
Malgré ce transfert, vécu comme injuste, l'homme au crâne rasé, polo bleu clair sur les épaules, l'assure : il ne prévoyait toujours pas de s'évader. Pourtant, il vivait mal l'attente de son procès pour le meurtre, en mai 2010, de la policière Aurélie Fouquet - faits qu'il a toujours niés, et pour lesquels il a depuis été condamné à 18 ans de prison. Le "déclic" est survenu en 2013, alors que son père se trouvait dans un état critique. "Il était en fin de vie, je devais aller le voir, mais ce n'était pas possible car j'étais incarcéré. L'appel de la liberté a été plus fort."
Une veste en pains d'explosifs. Au cours du procès, l'histoire de sa violente évasion, digne d'un des films d'action dont il est très friand, avait été habilement racontée par l'accusé lui-même. "Fin 2013, j'ai eu l'opportunité d'un contact avec un détenu qui avait des armes et des explosifs, il m'a demandé si j'étais intéressé, vu mon profil de gangster." Au début, il explique n'avoir "pas cru" que son projet puisse réussir. "Ok on a une arme, des explosifs… Mais c'est une forteresse." Le 13 avril, il s'est pourtant rendu au parloir équipé d'une veste de survêtement "confectionnée avec des pains d'explosifs, au cas où les surveillants n'obtempéraient pas".
" Une vraie arme, et pas une arme en chocolat ou en savon "
Armé, Rédoine Faïd a ensuite pris en otage quatre surveillants, tirant un coup de feu vers le bas pour "leur prouver que c'était une vraie arme et pas une arme en chocolat ou en savon." Le braqueur a méthodiquement fait exploser chacune des cinq portes qui le séparaient de la liberté, avant d'être récupéré en voiture par un complice à l'identité inconnue, emmenant sur quelques centaines de mètres l'un des otages.
"On se disait qu'on allait mourir". De ce périple, les gardiens présents le jour de l'évasion assurent avoir gardé le souvenir d'un "film de guerre". "J'ai vu la mort en face, surtout avec l'usage des explosifs", a témoigné Sébastien, l'un des otages utilisés comme bouclier humain face au mirador. "Tous mes organes sont remontés, j'ai tout de suite pensé à mes enfants, je me suis dit 'on va y rester'". Quand la porte s'est finalement ouverte, il dit avoir vécu "une sorte délivrance". "Notre but, c'était qu'il sorte, parce qu'on se disait qu'on allait mourir sinon", a abondé Jean-Luc, un autre membre de l'administration pénitentiaire.
" Avec n'importe qui d'autre, ça aurait été un carnage "
Paradoxalement, tous se sont cependant accordés pour dire que la dangerosité de l'évasion n'avait d'égal que la maîtrise de Faïd, braqueur chevronné. "Il nous a quand même poussés dans les autres salles pour qu'on ne soit pas dans les explosions", s'est souvenu l'un des otages. "Avec n'importe qui d'autre, ça aurait été un carnage", a confirmé une greffière, témoin d'une partie de l'évasion. "Pour les braquages, il nous a expliqué longuement l'attention particulière qu'il mettait pour protéger les convoyeurs de fonds, éviter des dégâts humains", a ajouté, plus tard, un expert psychiatre. Un homme "dans la zone limite au-delà de laquelle on est considéré comme psychopathe", "précis dans son comportement délinquantiel".
La piste a été exploitée par l'accusé lui-même : "c'est vrai que j'ai traumatisé des gardiens, car je les ai pris en otage. Mais mon état d'esprit, c'est que je ne les ai jamais touchés". Et aussitôt balayée par l'avocat général : "Essayez d'imaginer ce que ça peut être, le fracas de chacune des explosions, un coup de feu rapidement tiré au début de l'évasion dans une pièces fermée, d'être à genoux, les mains jointes, tenus par le col, de sentir l'arme à proximité !" Avant d'annoncer ses réquisitions, le magistrat s'était montré intraitable, lundi : "Dans son récit, Rédoine Faïd dit 'J'ai bréché la porte' avec un explosif, mais il a aussi ébréché des personnes."