Face aux "gilets jaunes", le gouvernement a reculé sur la taxation des carburants… et reporte désormais la loi Alimentation. Le ministre de l’Agriculture a annoncé mercredi que les ordonnances de la loi Alimentation seront mises en œuvre début 2019, en raison du contexte social. Mais avec ce geste, l’exécutif soulève la colère des agriculteurs, qui attendent une plus juste rétribution de leur travail. Ces derniers sont appelés à manifester toute la semaine prochaine dans l’Hexagone.
Pourquoi le gouvernement reporte-t-il la loi Alimentation ?
Un contexte social défavorable. Les ordonnances attachées à la loi Alimentation sont "reportées" en raison du mouvement des "gilets jaunes" et seront appliquées "en janvier ou en février", a déclaré mercredi le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume sur CNews. Elles devaient être présentées ce mercredi en Conseil des ministres, notamment celle sur le relèvement du seuil de revente à perte et la limitation des promotions, censées améliorer la rémunération des agriculteurs et mettre fin à la "guerre des prix" avec les distributeurs. En plein mouvement des "gilets jaunes", qui ne faiblit pas à sa troisième semaine de mobilisation, cette annonce a pour but d’éviter de rajouter de l’huile sur le feu, avec des textes qui auront un impact direct sur le portefeuille des Français.
Rassurer les agriculteurs. "Le pouvoir d'achat des agriculteurs n'est pas en opposé au pouvoir d'achat des citoyens", a toutefois assuré Didier Guillaume, affirmant que ces ordonnances seront en vigueur d’ici fin février, avant la fin des négociations commerciales annuelles entre la grande distribution et ses fournisseurs, lors desquelles sont déterminés les tarifs alimentaires. "Aujourd'hui, il n'est plus possible que les agriculteurs se fassent étrangler dans les négociations commerciales", a fait valoir le ministre. Mais, dans certains cabinets ministériels, on ne cache pas que ces ordonnances arrivaient au mauvais moment, en pleine crise des "gilets jaunes".
Quelles mesures impacteront le pouvoir d’achat des Français ?
Moins de promotions intéressantes. Certaines mesures de la loi Alimentation risquent de crisper davantage le mouvement des "gilets jaunes" en portant un coup supplémentaire au pouvoir d’achat. La loi met notamment fin aux grosses promotions, qui seront dorénavant limitées à 34% des prix de référence. S’en est donc fini des opérations "un produit acheté = un produit offert", ou bien encore des réductions monstre à hauteur de 50% et plus. On n'assistera plus non plus aux scènes d'émeutes qui ont eu lieu dans certains supermarchés à l'occasion de promotions exceptionnelles sur des produits de grande marque, comme le Nutella.
Des produits plus chers ? Ces produits dit d'appel, souvent mis en promotion pour attirer le client, ne pourront plus être vendus au rabais en raison d'une autre mesure de la loi Alimentation, qui pourrait toucher au portefeuille des ménages : le relèvement du seuil de revente à perte de 10%, qui impose aux supermarchés de revendre un produit au minimum au prix auquel ils l’ont acheté, majoré de 10%. Les associations de consommateurs craignent que les distributeurs, peu enclins à rogner sur leurs marges, augmentent mécaniquement les prix avec cette mesure.
"Augmenter le prix de vente minimal auquel il est permis de revendre un produit conduira à une hausse des prix. Celle-ci concernera d’abord les produits de grande marque, qui servent de produit d’appel aux distributeurs et sont donc régulièrement vendus à marge faible", avait expliqué l’UFC-Que Choisir, estimant à 2,4% la hausse moyenne des prix des produits concernés. Mais selon les distributeurs, l’augmentation des prix sera contenue entre 0,1% et 0,8%.
Une infographie du ministère de l'Agriculture détaille ce que doit changer la loi Alimentation dans la rétribution des agriculteurs. ©capture d'écran/agriculture.gouv.fr
Comment vont se mobiliser les agriculteurs ?
Appel à la mobilisation. Pour les agriculteurs, ces mesures doivent a contrario augmenter leur pouvoir d’achat, en leur garantissant d’être mieux rétribués, alors qu'un tiers d’entre eux vit avec moins de 350 euros par mois. Et l’annonce du ministre de l’Agriculture mercredi matin a ainsi mis le feu aux poudres : les agriculteurs sont appelés à se mobiliser la semaine prochaine partout en France pour protester contre le report de ces ordonnances. "Nous n’appelons pas à la violence ni aux blocages, mais nous appelons à exprimer nos revendications", a lancé sur Europe 1 Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, syndicat majoritaire chez les agriculteurs.
Ras-le-bol fiscal. "Nous avons besoin que le président tienne ses promesses. Reporter d’une semaine nous pouvons le comprendre, mais le plus important c’est qu’au 1er janvier le texte puisse s’appliquer. Nous en avons besoin pour que les négociations commerciales (avec la grande distribution, ndlr) puissent se faire avec ce nouveau code des relations commerciales tel qu’il a été écrit dans la loi", défend Christiane Lambert. Au-delà du report de la loi Alimentation, les agriculteurs entendent, comme les "gilets jaunes", exprimer leur ras-le-bol fiscal. En cause notamment, l’augmentation de la redevance aux pollutions diffuses, une taxe dédiée au soutien à la conversion à l’agriculture biologique et payée par ceux qui utilisent certains pesticides.
Des actions loin de celles des "gilets jaunes". La FNSEA va déléguer à ses présidents départementaux l’organisation des mobilisations prévues du lundi 10 au jeudi 13 décembre. "Nous sommes un syndicat organisé et responsable. Il y aura un début et une fin. Ça ne se passera pas partout de la même façon, il y aura différentes actions, dans le respect des biens et des personnes. Nous ne voulons pas embêter les Français ou perturber l’activité économique", assure-t-elle, affirmant "ne pas rejoindre les 'gilets jaunes'". Ainsi, les agriculteurs mobilisés devraient notamment mener des actions devant les préfectures ou des permanences de députés.