"Je ne vois pas ce que je peux apporter sur cette affaire", souffle Patrick Dils depuis son domicile de la région bordelaise. "Au même titre que les familles de victimes, je veux savoir la vérité." Les premières réponses du désormais quadragénaire, entendu comme témoin par visioconférence devant les assises de la Moselle, mercredi, peuvent laisser croire que les échanges seront brefs. En 2002, après quinze ans de prison, Dils a été acquitté des meurtres de deux garçons de huit ans, commis en 1986 à Montigny-lès-Metz. Quinze ans plus tard, il n'est qu'un témoin au procès de Francis Heaulme, jugé pour les mêmes faits. Mais les parties civiles et la défense le considèrent encore comme un accusé.
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"J'étais prêt à tout pour rentrer chez moi". "En moins de trente heures de garde à vue, j'ai été trahi et par les adultes, et par l'autorité", se souvient Patrick Dils. En 1987, alors âgé de 16 ans, l'adolescent avoue les meurtres à plusieurs reprises, sous la "pression" des gendarmes. "Ils m'ont dit 'c'est pas grave, c'est un accident, ça peut arriver'. J'étais prêt à tout pour rentrer chez moi", poursuit-il, interrogé par le président. Dils s'est ensuite rétracté, clamant son innocence devant la justice jusqu'à ce qu'un nouvel élément - la présence avérée de Francis Heaulme sur les lieux des crimes - ne fasse basculer son dossier vers l'acquittement.
L'ancien accusé était bien présent à proximité de la voie ferrée où ont été retrouvés les corps, ce jour de septembre 1986 : après coup, il a expliqué s'y être rendu à la recherche de vieilles enveloppes, car il collectionnait les timbres. Pourquoi ne pas l'avoir dit aux enquêteurs dès le début ? "C'était pour que l'on ne dise pas 'Eh, le p'tit Dils, c'est un fouille-poubelle", murmure-t-il.
"Vous refaites mon procès, à nouveau ?". Le président en a terminé. Pas les avocats des parties civiles, qui se muent pour l'après-midi en défenseurs de Francis Heaulme et bombardent le témoin de questions. Comment a-t-il livré des aveux circonstanciés s'il est innocent ? Grâce à des articles lus dans la presse avant son arrestation et à des documents affichés dans le bureau des gendarmes, répond-il. Comment a-t-il sélectionné les bonnes pierres, au moment où on lui a demandé lesquelles avaient tué les enfants ? "Dès le lendemain, dans le Républicain Lorrain, on savait qu'une grosse pierre avait été utilisée, donc je l'ai choisie."
"Qu'est ce que vous voulez que je vous explique ? Vous refaites mon procès à nouveau", s'impatiente poliment le témoin, interrogé par Me Rondu. L'avocat représente Ginette Beckrich, grand-mère de l'une des victimes, qui a souvent répété croire que Dils était coupable, malgré son acquittement. Il rappelle que contrairement à lui, Heaulme n'a jamais avoué: "Vous comprenez qu'on puisse encore douter." "Maître, quand on ne connait pas, on ne vient pas faire de commentaires. J'avais 16 ans, ne l'oubliez pas", répond simplement l'acquitté.
"C'est à la justice de faire son travail". Les différents conseils se succèdent, revenant systématiquement sur les aveux de Dils, cherchant à comprendre pourquoi il a menti. "J'étais un enfant introverti", répond-il. "J'avais une peur bleue de l'inspecteur Varlet", qui dirigeait l'enquête. Très vite, l'interrogatoire tourne en rond. À leur tour, les avocats d'Heaulme décortiquent rapports et procès-verbaux, tentant d'instaurer un doute dans l'esprit des jurés. "Vous n'avez pas d'explication", assène à Patrick Dils Me Glock, conseil de l'accusé.
#Heaulme l'avocate revient sur l'histoire des pierres reconnues. Dils a déjà répondu. On tourne en rond. Il répète son explication.
— Salomé Legrand (@Salome_L) 26 avril 2017
À l'écran, Patrick Dils continue de répondre, inlassablement, ne laissant transparaître son exaspération que par quelques soupirs. "Encore aujourd'hui, ce n'est pas à moi de dire si Francis Heaulme est coupable, c'est à la justice de faire son travail", expose le témoin, loin de l'image du jeune homme fragile qui avait fait le tour des médias en 1986. "Je veux savoir ce qui est arrivé à ces deux petits garçons qui comme moi ne demandaient qu'à grandir, à vivre heureux."