Mort de Naomi : comment sont formés les opérateurs du Samu ?

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Photo d'illustration : Au téléphone, les assistants de régulation médicale doivent recueillir des informations et orienter les malades en fonction de l'urgence de leur état. © AFP
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Anaïs Huet , modifié à
Le Samu est pointé du doigt après la mort de Naomi Musenga, 22 ans, dont l'appel de détresse a été sous-estimé et moqué par l'opératrice qui l'a reçu. Mais ces agents sont-ils bien préparés ?

Chaque année, plus 20 millions de personnes font appel au Samu en composant le 15. Autant de personnes qui passent d'abord par le standard, accueillies par ce que l'on appelle un ARM, un assistant de régulation médicale. C'est ce qui est arrivé Naomi Musenga, le 29 décembre 2017. Ce jour-là, souffrant de terribles douleurs au ventre, cette femme de 22 ans, mère de famille, est reçue par l'une des opératrices du Samu de Strasbourg, qui lui répond en se moquant et refuse de lui envoyer des secours. Naomi Musenga meurt quelques heures plus tard, victime d'un infarctus. 

"On ne peut qu'être effaré par le ton, le fond et la forme" de cet entretien, "qui ne répond absolument pas aux procédures et à ce que l'on enseigne dans les Samu", estime le docteur François Braun, président de l'association Samu Urgences de France, joint par Europe 1. Mais de quelle formation a réellement bénéficié cette opératrice du Samu ?

Un rôle essentiel de compréhension et d'orientation. Tout d'abord, il s'agit de bien définir ce métier, qui n'existe quasiment qu'en France. L'ARM n'est pas docteur lui-même, mais est pourtant le premier maillon de la chaîne de secours. Son rôle est de recueillir rapidement des données fiables sur l'état de la personne qui ne se sent pas bien, et de l'orienter vers la structure la mieux adaptée (médecin régulateur, SOS Médecins, pompiers, etc) en fonction de la gravité et de l'urgence de l'appel. Le tout en prenant en compte du stress, voire de la panique, qui peut envahir l'appelant, qu'il s'agisse de la personne en détresse ou d'un proche assistant à la scène. Calme et empathie sont donc de rigueur.

Actuellement, "entre 2.000 et 2.500 ARM sont en fonction dans les 104 Samu français", précise François Braun.

Entendu sur europe1 :
L'immense majorité des personnes qui vous répondent quand vous composez le 15 n'ont pas bénéficié de formation

De très rares formations. Lorsqu'il écoute l'enregistrement de la conversation entre l'opératrice du Samu de Strasbourg et Naomi Musenga, Jean-Pierre Palka est sidéré, confie-t-il à Europe 1. Il dirige à La Madeleine, dans le Nord, l'une des seules formations au métier d'ARM en France. Depuis sa création il y a quinze ans, entre 20 et 25 opérateurs ont été formés chaque année. "C'est loin de pouvoir combler les besoins dans toute la France", fait-il remarquer. Mais surtout, cette formation spécifique d'un an (560 heures de cours théoriques et pratiques, couplées à des stages) n'est pas obligatoire pour les futurs professionnels. De fait, "l'immense majorité des personnes qui vous répondent quand vous composez le 15 n'ont pas bénéficié de formation. Ils sont simplement formés sur le tas", atteste le directeur. Certains ARM ont toutefois pu suivre une formation d'adaptation à l'emploi, dispensée par des médecins urgentistes. "Mais elle est bien plus courte que la nôtre", précise Jean-Pierre Palka.

 

Des mises en situation nécessaires. Moqueries, mépris, absence de considération et de discernement… L'opératrice du Samu qui a pris l'appel de Naomi Musenga, et qui a depuis été suspendue de ses fonctions à titre conservatoire par la direction des hôpitaux de Strasbourg, semble avoir manqué à ses devoirs. "Aucune des personnes que nous formons n'aurait pu répondre de cette manière", assure à Europe 1 Caroline Delbaere, formatrice principale au métier d'ARM au lycée Valentine-Labbé à La Madeleine. Les étudiants – souvent du personnel hospitalier en réorientation ou en reclassement - sont amenés à des ateliers de simulation, conduits par des ARM du Samu 59 et du Samu 62. Ceux-ci reproduisent des scénarios réels d'appels de personnes en détresse, en français ou en anglais, et évaluent leur prise en charge par les étudiants. "Ils doivent être toujours à l'écoute, rassurer l'appelant et aller à l'information nécessaire", précise la formatrice. Pour plus d'efficacité, ils disposent de "fiches réflexes" en fonction des situations médicales auxquelles ils sont confrontés, avec des questions spécifiques à poser.

Pour une réforme des formations. Surtout, complète Caroline Delbaere, ces futurs ARM doivent suivre des cours de psychologie et de techniques de communication, "sur la gestion du stress, la reformulation, l'adaptation". Des qualités qui permettent de distinguer, selon Patrick Pelloux, médecin urgentiste joint par Europe 1, "les vrais professionnels des autres". Sur BFMTV mercredi, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a jugé de son côté que la mauvaise prise en charge de Naomi Musenga n'était "pas une question de moyens", mais "une question de formation, d'empathie, d'écoute."

Patrick Pelloux, par ailleurs président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), plaide pour "une réforme de la formation initiale, mais aussi de la formation continue". Une réforme qui "ne passera que par une hausse des moyens, du nombre de personnels et une revue des conditions de travail." Pour lui, "il faut qu'on ait au niveau des centres d'appels de secours les mêmes critères de qualité que ce que vous avez dans certains 'call-centers' pour répondre à des problèmes de cartes bleues".

En septembre 2017, un rapport d'information du Sénat sur les dysfonctionnements aux urgences dénonçait "un métier très difficile" exercé "par des personnes manquant d'expérience, quand ce n'est pas tout simplement d'une formation initiale". Les rapporteurs proposaient alors de mettre en place une formation initiale standardisée d'au moins deux ans, sanctionnée par la délivrance d'un diplôme obligatoire pour exercer ce métier. Un rapport qui, suite au drame de la mort de Naomi Musenga, bénéficiera peut-être d'un plus fort écho auprès du ministère de la Santé.