L'annonce a sonné comme une petite victoire pour tous les contempteurs des abus de la "realpolitik". Lundi soir, la France a engagé une procédure de retrait de la Légion d'honneur attribuée au président syrien Bachar al-Assad, comme l'a confirmé l'entourage du président Emmanuel Macron. Depuis plusieurs mois, de nombreuses voix s'élevaient en faveur du retrait de cette distinction de la France au chef du régime syrien qui mène une répression sanglante depuis 2011, et à qui la France attribue par ailleurs la responsabilité de l'attaque chimique présumée de Douma. "On ne peut pas imaginer qu'un bourreau, qu'un despote, qu'un tyran, contre lequel d'ailleurs la France a mobilisé ses moyens militaires il y a quelques jours, puisse continuer de porter, même symboliquement, la grand-croix de la Légion d'honneur", s'indignait notamment sur France 3 l'universitaire Jean-Pierre Filiu, signataire d'une pétition demandant le retrait de la Légion. Ce n'est pas la première fois que le profil d'une personnalité décorée fait polémique.
Les précédents Weinstein, Armstrong ou Galliano
Si elle était menée à son terme, la procédure de retrait de la Légion d'honneur d'Assad serait la deuxième lancée lors du quinquennat Macron. En octobre, en pleine affaire Weinstein, le président de la République avait annoncé sa volonté de voir retirer la distinction au célèbre producteur, accusé par de nombreuses actrices d'agressions sexuelles et de viols. "Oui, j'ai engagé les démarches pour en effet retirer sa Légion d'Honneur, en tout cas j'ai demandé au grand chancelier de l'Ordre de procéder à une procédure disciplinaire, il prendra sa décision", avait déclaré le chef de l'État.
En 2014, c'est à l'ancien champion cycliste américain Lance Armstrong, privé de ses sept Tours de France après avoir avoué s'être dopé en 2013, que la distinction avait été retirée par un décret de François Hollande. Ce dernier avait également décidé du retrait de la décoration du couturier britannique John Galliano, condamné en 2011 pour des propos antisémites.
Une procédure de retrait très récente
Mussolini, Ceaucescu, ou encore Kadhafi, nombreux sont les anciens dirigeants étrangers dont les noms ont fait tache dans la liste des décorés de la Légion d'honneur. Et si ces attributions font scandale depuis des années, ce n'est que depuis 2010 qu'il est possible de retirer une Légion d'honneur accordée à un étranger. Jusque là, aucun article du code de la Légion d'honneur ne prévoyait l'exclusion des décorés étrangers, à l'inverse des Français, comme le rappelait Le Monde dans une enquête sur l'opacité du système entourant la décoration.
Ce retrait est rendu possible par la jurisprudence "Manuel Noriega". En 2010, cet ancien dictateur panaméen, décoré de la Légion d'honneur par François Mitterrand en 1987, est extradé des États-Unis vers la France pour y purger une peine de prison pour blanchiment d'argent issu du trafic de drogue. Il avait été condamné en 1999 par contumace. À son arrivée en France, la perspective de le voir conserver sa décoration avait alors suscité l'indignation, poussant l'exécutif à adopter un décret, le 27 mai, modifiant le code de la Légion.
Désormais, la Légion peut être retirée à un étranger "condamné pour crime ou à une peine d'emprisonnement sans sursis au moins égale à un an", ou s'il a "commis des actes ou a eu un comportement susceptible d'être déclarés contraires à l'honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France à l'étranger ou aux causes qu'elle soutient dans le monde".
Un processus d'attribution qui reste opaque
Ces dernières années, les décorations polémiques n'ont pas cessé. En 2016, la décoration du prince héritier saoudien Mohammed ben Nayef avait par exemple suscité une levée de boucliers. Et si Emmanuel Macron a décidé de réduire le nombre de Légions attribuées sous son quinquennat, les dirigeants étrangers décorés au titre de "la réciprocité diplomatique" ne sont en rien concernés. Et pour cause, rappelle France 24, "ces attributions là ne font pas l'objet d'une publication au Journal officiel, ni même d'une communication officielle". La tenue d'une cérémonie de remise n'est pas non plus obligatoire.
C'est donc en toute opacité qu'un président de la République peut décider d'honorer un chef d'État, et lui seul détient cette prérogative. C'est de cette façon dont Jacques Chirac avait procédé en 2001 avec Bachar al-Assad, décoré en catimini en 2001. Cet adoubement ne sera d'ailleurs connu du grand public qu'en 2009, après la publication du livre de Béatrice et Michel Wattel : Les Grand'Croix de la Légion d'honneur.
#Macron bombardiert #Assad wegen des Einsatzes chemischer Waffen. Zur Aberkennung seines Titels als Ritter der Ehrenlegion (Frankreichs Staatsauszeichnung, verliehen durch Chirac) hat‘s bisher aber noch nicht gereicht... #syria#trump#doumapic.twitter.com/A9keBmhh57
— Markus Preiß (@markuspreiss) 16 avril 2018
Comme le rappelle Marianne, la remise de la Légion en 2006 au président russe Vladimir Poutine n'avait été révélée que grâce à la présence de télévisions locales. En 2010, un quotidien gabonais avait lui dévoilé la photo de la discrète cérémonie durant laquelle Nicolas Sarkozy avait décoré l'ancien président Omar Bongo.