Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Il est possible, depuis mercredi dernier, de tuer les cormorans en France. Et cette affaire fait débat. Elle illustre la complexité des enjeux de biodiversité. Entre plusieurs espèces protégées, laquelle faut-il protéger le plus ?
Le grand cormoran, phalacrocorax carbo sinensis de son petit nom latin est, depuis 1979, une espèce protégée au niveau européen. La destruction, la capture de ces grands oiseaux noirs , comme la perturbation et la destruction des œufs et des nids est, normalement, interdite. Mais mercredi dernier, un arrêté gouvernemental a autorisé « des tirs d’effarouchement ou de destruction » des cormorans, un peu partout en France. Avec des limites, pas plus de 20% des effectifs, et très exceptionnellement, 30%.
Pour quelle raison cet oiseau protégé peut-il maintenant être chassé ?
Selon le ministère de la Transition écologique, on a noté depuis une dizaine d’année une forte augmentation de ses effectifs, avec une population oscillant autour de 100 000 individus hivernants.
Le problème, c’est que les cormorans se sont aussi déplacés de leur milieu marin originel. Ils ont investi les terres pour devenir l’un des principaux prédateurs des poissons d’eau douce en hiver lorsqu’ils migrent. Et selon le ministère, toujours, sa présence en grand nombre engendre des dommages non seulement pour les pisciculteurs, essentiellement par la consommation des poissons de production… mais elle a aussi un impact sur la biodiversité aquatique, avec un risque majeur pour certaines espèces fragilisées de lacs ou de rivières. Non seulement les cormorans sont friands de brochets, truites ou ombres communs, mais ils dévorent aussi des espèces en danger : anguille européenne ou le brochet aquitain
Le gouvernement, estimant que la population de ces grands cormorans serait « satisfaisante », contrairement à ses proies classées « vulnérables », a arbitré. On va tirer les oiseaux pour protéger les poissons.
Evidemment, la Ligue de Protection des oiseaux s’est insurgée.
« Le grand cormoran a toute sa place dans nos paysages en tant que prédateur originel des cours d’eau français. Faire de cet oiseau le bouc émissaire de la régression des poissons d’eau douce est un non-sens et camoufle les véritables causes : pollution et dégradation de la qualité des eaux, barrages et discontinuité écologique, réchauffement climatique et sécheresses meurtrières », c’est ce qu’elle écrit. Elle explique aussi, ce qui est très discuté, et très discutable, qu’il n’y a pas de preuve scientifique que les cormorans contribuent à la disparition des espèces de poissons menacées. Ce qui fait bien sûr bondir les pêcheurs, qui sont aux premières loges.
Un discours qui porte… Mais qui n’est pas très juste
Essentiellement parce qu’il n’y a pas grand monde pour défendre les poissons d’eau douce. Des animaux mal connus, pour lesquels le cœur du grand public bat rarement, qui n’ont pas d’organisations très vocales pour les défendre… à la différence des oiseaux. Il y a un déséquilibre de l’empathie. Un phénomène qui porte un nom. Il y a quelques mois, des scientifiques alertaient sur ce qu’ils appellent le syndrome de Nemo : la difficulté à étudier et donc à sauver certaines espèces moches, notamment chez les poissons. Il y a les mignons, comme Nemo, le poisson de Disney, et tous les autres, qui ne font pas le poids. L’affaire des cormorans nous en donne une petite illustration.