"Quand je croise des militaires dans la rue, ma seule pensée est de prendre leurs armes pour m'en servir." En 2012, le propos d'Émilie König est déjà on ne peut plus clair. La jeune femme n'a pas 30 ans et l'organisation État islamique n'existe pas encore. Mais, filmée par la sociologue et documentariste Agnès de Féo, spécialiste des sujets sur les femmes et l'islam radical, elle raconte sa solitude, sa conversion à l'islam et son choix de porter le voile intégral, après le vote de la loi l'interdisant. Quelques mois plus tard, la Bretonne s'envole pour la Syrie et devient l'un des visages phares de la propagande djihadiste. Elle vient d'y être arrêtée par les forces kurdes.
Vendeuse en alternance. Rien ne prédestinait pourtant Émilie König à embrasser l'islam, et encore moins l'islamisme radical. Née à Lorient d'un père gendarme, elle est la benjamine d'une famille de quatre enfants. Ni bonne ni mauvaise élève, elle abandonne un cursus de sport-études en gymnastique acrobatique et décroche un CAP de vendeuse en alternance. D'anciens collègues du magasin de vêtements où elle travaille se souviennent auprès de Ouest-France d'une "gentille fille", "coquette", "joyeuse, heureuse de vivre". "Et puis, elle s'est imprégnée de la culture musulmane."
La jeune femme se marie une première fois à un Algérien, emprisonné pour trafic de drogue. Elle apprend l'arabe, se fait appeler Samra et se convertit à l'âge de 17 ans. "Depuis l'enfance, quand j'entrais dans une église, j'avais envie de prier", confiera-t-elle à Agnès De Féo. "Je suis devenue musulmane car j'ai toujours côtoyé des musulmans." Émilie König devient barmaid dans une boîte de nuit. Elle a deux enfants.
"Elle était très seule". En 2010, Émilie Köning ne sort plus sans niqab. "Elle venait prier le vendredi à la mosquée, à Lorient", a raconté à Ouest-France un responsable de l'Association culturelle et islamique locale, dont elle a été éloignée après avoir distribué des tracts salafistes. Deux ans plus tard, elle se rend au tribunal de Lorient intégralement voilée et filme son altercation avec un agent de sécurité, qui lui demande de se découvrir. La vidéo est postée sur Youtube.
" Elle est en Syrie ? Qu'elle y reste ! "
La même année, Émilie König déménage en banlieue parisienne et traque l'amour sur les réseaux sociaux salafistes. "Elle cherchait un homme désespérément, elle était très seule", se souvient Agnès de Féo. À distance, elle épouse un combattant se trouvant déjà en Syrie et décide de le rejoindre, confiant ses fils à sa mère.
Une propagande intense. Émilie devient alors "Ummu Tawwab" (la mère qui pardonne). Sur les réseaux de propagande, elle diffuse des dizaines de vidéos appelant au djihad, entièrement voilée, maniant parfois des armes. Dans l'une d'entre elles, elle s'adresse à ses enfants : "n'oubliez pas que vous êtes musulmans". Dans d'autres, elle appelle à commettre des actions violentes. Selon Libération, la jeune femme aurait convaincu plus de 200 femmes françaises de rejoindre l'organisation État islamique. "C'est une dure. Sur zone, elle a très probablement été en contact avec Hayat Boumedienne, la veuve d'Amedy Coulibaly, le terroriste de l'Hyper Cacher", juge un policier du renseignement intérieur, interrogé par la même source.
En 2015, la Bretonne est la première femme à rejoindre la liste américaine des "combattants terroristes étrangers". "C'est une personnalité dans la communauté djihadiste, elle est très active sur les réseaux sociaux, sert à la propagande et au recrutement de volontaires", confie alors un responsable de la lutte antiterroriste. "Elle est en Syrie ? Qu'elle y reste !" lance son père, interrogé par Ouest-France. Sa mère continue, elle, d'élever ses deux petits-enfants. Émilie König, qui a eu un autre fils de son deuxième mari, mort en Syrie, puis deux filles, est désormais emprisonnée dans un camp de réfugiés kurdes. Les modalités de son éventuel retour en France, où elle est visée par plusieurs procédures judiciaires, ne sont pas connues.