"Alexis Tsipras a raison de dire que la Grèce a fait beaucoup de sacrifices"

Alexis Tsipras s'est entretenu avec Pierre Moscovici d'une nouvelle aide de l'UE à la Grèce.
Alexis Tsipras s'est entretenu avec Pierre Moscovici d'une nouvelle aide de l'UE à la Grèce. © LOUISA GOULIAMAKI / AFP
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Clément Lesaffre , modifié à
L’économiste Jésus Castillo estime que la politique d’austérité a atteint ses limites en Grèce. Il faut maintenant privilégier une relance de la dynamique économique.
INTERVIEW

L’avenir de la Grèce se joue de nouveau à Bruxelles. Le gouvernement grec, qui a besoin d’une nouvelle aide pour rembourser ses créanciers, a accepté lundi de légiférer sur des mesures qui lui permettront de remplir les objectifs budgétaires fixés par ces mêmes créanciers. Pour Jésus Castillo, économiste spécialiste de l’Europe du Sud chez Natixis, la Grèce aura du mal à faire encore plus d’économies. Surtout, elle a besoin de temps pour appliquer ses réformes.

Comment va la Grèce aujourd’hui ?

Il y a deux lectures possibles de la santé de l’économie grecque. D’un côté, il y a un redémarrage, faible mais réel. Avec deux trimestres consécutifs à la hausse en 2016, la croissance se stabilise dans le positif, après sept années de récession sur les huit dernières années. Le taux de chômage est passé de 28 à 23% en trois ans, des emplois sont créés en continu. Le déficit public et la dette de la Grèce se réduisent – même si leur niveau reste très élevé, notamment grâce à un récent équilibrage des dépenses et des recettes.

Cependant, la perception de l’amélioration n’est pas la même pour les Grecs. Le taux de chômage reste supérieur à 20%, c’est énorme. Le PIB grec a perdu un quart de sa valeur depuis 2009 et par conséquent, le revenu par tête a chuté dans les mêmes proportions. Ceci à cause des nombreuses réformes qui ont visé à réduire les dépenses publiques : les salaires des fonctionnaires ont été réduits et le niveau des retraites a diminué un peu plus avec chacune des trois réformes réalisées. Résultat, on observe une très grande fatigue de la population.

Quelles réformes ont été entreprises par le gouvernement grec ?

Outre les mesures "tour de vis" citées ci-dessus, de grandes réformes fiscales ont été faites pour augmenter le niveau global des impôts et supprimer les nombreuses exonérations fiscales qui prévalaient dans la Grèce pré-crise. L’objectif majeur était d’améliorer l’efficacité de la collecte de l’impôt. Au vu des recettes fiscales engrangées depuis deux ans, on peut dire qu’il y a du mieux sur ce front.

Mais cela va prendre du temps. Il ne faut pas oublier que l’on part quasiment de zéro : il y a dix ans, l’administration grecque était inefficace, sinon inexistante. Par ailleurs, des réformes du marché du travail ont été lancées mais elles peinent à se mettre en place. On parle ici de réformes profondes avec des effets sur le long terme.

La Grèce a-t-elle vraiment fait tout ce qu’elle pouvait ?

Alexis Tsipras a probablement raison de dire que la Grèce a déjà fait beaucoup de sacrifices. Au vu de tout ce qui a déjà été fait, il est aujourd’hui difficile de continuer de réduire les dépenses publiques. Déjà en 2015, le gouvernement grec avait dit : "On ne peut pas étrangler encore plus le peuple". Le pays a perdu 25% de sa richesse en sept ans, les limites sont atteintes. Lundi, Tsipras a, semble-t-il, promis de nouvelles mesures pour remplir les objectifs budgétaires. Il faudra voir en détail ce qu’il entend faire.

" La Grèce a besoin de temps "

Les trois premiers plans d’aide du FMI et de l’Union européenne ont-ils aidé la Grèce ?

Aujourd’hui, on constate que les plans d’aide ont été défaillants puisqu’ils visaient uniquement à réduire le déficit grec. Mais on n’a pas créé de cycle d’activité. En réduisant les dépenses publiques, on a taillé dans des budgets importants comme l’éducation ou la formation. Ces facteurs de croissance à long terme ont été fragilisés. Certes, les chiffres (croissance, emploi, déficit) s’améliorent mais l’activité réelle du pays patine toujours.

Quel est l’enjeu des nouvelles négociations ?

Actuellement, la Grèce n’a pas les fonds nécessaires pour rembourser ses créanciers. D’ici à juillet, elle doit rendre 7,5 milliards d’euros. Selon nos estimations, il reste environ trois milliards dans les caisses de l’État grec. D’où la nécessité d’un nouvel accord avec le FMI et l’UE pour un quatrième plan d’aide. La Grèce a besoin de temps.

Le problème est que le FMI n’est prêt à revenir qu’à certaines conditions. Il juge déraisonnable l’objectif fixé par l’UE d’un excédent primaire de 3,5% du PIB (hors coût de la dette). On sait depuis 2015 que c’est irréalisable. Le FMI plaide pour un allègement de la dette grecque. Mais de nombreux pays européens, notamment l’Allemagne, y sont fermement opposés. L’issue des négociations est donc toujours incertaine. Austérité, assouplissement, blocage, accord : tout est possible.