Les comptes de campagne d’Emmanuel Macron lors de la présidentielle 2017 n’en finissent pas de faire parler. L'actuel chef de l'État aurait bénéficié de "prix cassés" et de "ristournes cachées" auprès de théâtres parisiens et de factures "potentiellement litigieuses" selon franceinfo qui révèle l’information jeudi.
Le Monde et Mediapart avaient déjà révélé que l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron avait bénéficié de ristournes, plus ou moins importantes, de la part de plusieurs sociétés, et notamment de GL Events qui a organisé plusieurs des meetings du candidat de La République en marche. Jeudi, franceinfo apporte de nouveaux éléments sur ces rabais et en dévoile de nouveaux, en se basant sur les Macron Leaks, cette fuite de plus de 100.000 mails émanant de l’équipe de campagne de Macron.
Quelles sont ces nouvelles ristournes ?
- Deux salles à 75% de réduction. D’après franceinfo, l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron a notamment bénéficié de prix avantageux à Bobino et au Théâtre Antoine, où le candidat est monté sur scène respectivement les 6 février 2017 et 8 mars 2017. Ces deux salles appartiennent à Jean-Marc Dumontet, figure incontournable des théâtres parisiens. Le patron de JMP Prod est devenu proche du couple Macron et a soutenu publiquement le candidat. La location des deux salles a été facturée 3.000 euros chacune. Ce tarif est largement inférieur à ceux pratiqués habituellement par JMP Prod : le tarif de base de la location avoisine plutôt… les 13.000 euros. Outre ce rabais confortable, c’est l’aspect des factures en elles-mêmes qui intrigue : elles sont étonnamment succinctes. Aucune mention n’est faite par exemplaire des options obligatoires, comme l’éclairage ou la régie son. Si la Commission des comptes de campagne (CNCCFP) reconnaît que ces deux factures sont peu précises, elle affirme se contenter de vérifier la bonne tenue des événements pour en valider le remboursement. Ainsi, les deux factures ont été validées sans atermoiement.
- Hamon paye quatre fois plus cher. Autre salle parisienne obtenue à un tarif privilégié : la Bellevilloise. Cette salle de concert parisienne a été réservée par l’association de campagne de Macron le 2 mai 2017 pour une soirée, pour un total de 1.200 euros. En comparaison, Benoît Hamon a loué cette salle le 20 mars 2017 à 4.838 euros. Le candidat socialiste ne s’est pas vu offrir les packs son et vidéo à la différence d'Emmanuel Macron, et il a payé plus cher le personnel et la location "brute" de la salle. À prestations égales, Benoît Hamon a donc payé quatre fois plus cher qu’Emmanuel Macron. Cette facture avait attiré l’attention de la Commission des comptes de campagne, en raison de deux remises accordées pour un total de 900 euros. Le propriétaire des lieux, la société Oriza, a défendu une "pratique habituelle et normale" sans plus d’explications à la Commission, qui s’est contentée de cette réponse.
- Une remise supérieure au total de la facture. Autre ville, même type de rabais : les militants En Marche du Rhône ont été invités à une soirée sur une péniche le 7 septembre 2016 à Lyon, autour de Gérard Collomb, alors maire et soutien de la première heure au candidat Macron. La facture de "La Plateforme" s’élève alors à 996 euros. Pourtant, le prix catalogue affiché est de 3.000 euros la soirée. Plus étonnant encore : la facture comporte une "remise commerciale" de 1.100 euros… soit un montant de rabais bien supérieur au total de la facture. Sur ce point, la Commission des comptes de campagne reconnaît être passée à côté de cette ristourne. "La question de la remise commerciale de 1.100 euros n’a pas été posée par les rapporteurs", se défend la CNCCFP.
- Un logiciel prisé des candidats. L’équipe de campagne d’Emmanuel Macron aurait également bénéficié de tarifs préférentiels sur l’utilisation d’un logiciel prisé des candidats à la présidentielle : NationBuilder permet de gérer des contacts, d'animer un site web ou encore d'envoyer des SMS automatiquement. La société américaine a proposé 30% de remise commerciale à l’équipe de Macron, baissant la facture de 22.000 dollars (18.600 euros). Du côté des Républicains, on affirme à franceinfo avoir bénéficié d’une remise classique de 15% en cas de souscription d’un an, soit deux mois offerts. Idem pour le candidat de La France insoumise. La Commission des comptes de campagne explique sur ce point avoir "constaté des stratégies de campagne différentes entre les candidats", ce qui expliquerait selon elle que "les coûts diffèrent en conséquence".
La classe politique en ébullition
L'opposition demande un réexamen des comptes de Macron. Ces nouvelles révélations n’ont pas manqué de faire réagir l’ensemble de la classe politique jeudi. À commencer par la droite, qui a dit sa volonté de "saisir officiellement" la Commission des comptes de campagne pour qu’elle réexamine les comptes de Macron. "Au regard des éléments nouveaux révélés par la presse (…), Les Républicains (LR) considèrent que la CNCCFP n'a pas été en mesure d'exercer pleinement et valablement son contrôle du compte de campagne d’Emmanuel Macron", déplore LR dans un communiqué, ajoutant que la "Commission a pu être trompée par la présentation d’informations erronées ou tronquées".
Même son de cloche du côté de Jean-Luc Mélenchon : le leader de La France insoumise (LFI) a jugé sur son blog qu'il serait "sain et utile" que "les comptes de campagne de Macron soient mis en cause devant la justice", plutôt que cette dernière s'intéresse aux "délires sur [son propre] compte de campagne", au sujet desquels le parquet de Paris a ouvert une enquête pour procéder à des "vérifications".
"Il y a une affaire Macron puisque les autres candidats n'ont pas bénéficié des mêmes avantages sur les mêmes salles. Et de ce point de vue-là, il y a une rupture de l'égalité entre les candidats", a réagi pour sa part Louis Aliot, du Rassemblement national (ex-Front national), appelant à recalculer les comptes de campagne de Macron.
"Vous cherchez le fournisseur le moins cher !" Soutien de Macron, le président du MoDem François Bayrou a quant à lui dénoncé une "polémique totalement infondée". "Quand vous devez faire imprimer cinq millions de tracts, vous cherchez le fournisseur le moins cher ! Et bien sûr que, pour avoir votre marché, le fournisseur rogne un peu sur sa marge", a-t-il cité en exemple, reconnaissant lui-même avoir opté pour le fournisseur le moins cher lorsqu’il était candidat à la présidentielle. L’Élysée s’est pour sa part contenté jeudi de rappeler que les comptes de campagne du candidat élu ont été validés par la CNCCFP, sans faire plus de commentaires. Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a abondé en ce sens, soulignant que les comptes de campagne d'Emmanuel Macron "ont été ceux, parmi les grands candidats, les moins réformés, puisqu'il y a (seulement eu, ndlr) 120.000 euros de réformation (correction dans les comptes)", a-t-il plaidé.
"Les rapporteurs ont fait un travail sérieux." Enfin, la CNCCFP réaffirme jeudi que les comptes de Macron ne comportaient pas d'"irrégularités" lors de leur examen. "Les rapporteurs n'ont pas retenu d'irrégularités et la commission a suivi leur appréciation", a déclaré lors d'un point de presse son président François Logerot. "Personne n'est infaillible, mais nos rapporteurs ont fait un travail sérieux", a-t-il fait valoir. Interrogé sur ces "remises" dont le candidat Macron aurait bénéficié, il a souligné l'absence de "prix du marché" dans le secteur de l'événementiel. François Logerot a indiqué qu'il avait "personnellement réexaminé" 19 cas de dépenses "apparemment sous-évaluées" relevés par les rapporteurs dans les comptes d'Emmanuel Macron. Après élimination de huit d'entre elles, "il reste dix cas de remises commerciales, dont six seulement dépassaient les 20% acceptables", a-t-il précisé. L'ensemble représente un total d'environ 150.000 euros, soit 0,9% du compte du candidat Macron et 1,3% pour les seules réunions publiques.
>> Géraldine Woessner a également pu consulter les comptes de campagne des candidats. Vendredi, dans son Vrai-faux de l'actu à 7h13, elle évoquera les dons d'argent.