"Quand vous avez passé le cap du soutien de la voisine, le frère du copain de la voisine et la copine qui habite dans votre quartier, c'est là que ça se complique. Et il faut continuer de convaincre." Alors, inlassablement, Florence Gabay écume "les marchés, les associations, le comité des médecins, les réunions Tupperware", va voir "les parents d'élèves à la sortie des classes, la diaspora béninoise", débat "à la sortie de la messe". "Ah, et j'ai un truc avec la diaspora libanaise la semaine prochaine."
Estampillé "issus de la société civile". Ceux que cette trentenaire aux longs cheveux bruns et look bon chic bon genre veut convaincre, ce sont les électeurs de la treizième circonscription de Paris, qui correspond à une partie du 15e arrondissement. Car la jeune femme a décidé de se lancer dans la grande aventure de la campagne électorale pour les législatives. Elle qui est aujourd'hui vice-présidente de l'Institut Robert Schuman, une ONG de réflexion en lien avec le Conseil de l'Europe, fait partie de cette vague à la mode de candidats estampillés "issus de la société civile".
Le renouveau est possible!Je lance aujourd'hui officiellement ma campagne pour les #législatives2017pic.twitter.com/XmekILfdi3
— Florence Gabay (@FlorenceGabay) 14 mai 2017
"Renouvellement par le bas". "Je pense qu'il faut qu'il y ait un renouvellement de la classe politique par le bas", explique Florence Gabay. Le déclic vient en rencontrant le maire de Neuilly-sur-Seine, Jean-Christophe Fromantin, qui a appelé dès l'année dernière la société civile à prendre d'assaut la vieille classe politique. "Je me suis dit qu'au milieu du magma politicien, c'était une idée novatrice et absolument géniale", se souvient Florence Gabay, qui fait désormais partie des "577 indépendants". Ce mouvement, lancé par Jean-Christophe Fromantin qui avait lui-même ravi la mairie de Neuilly-sur-Seine en 2008 à l'UMP alors qu'il n'était qu'entrepreneur, présente une centaine de candidats à la députation.
LREM et la France Insoumise misent sur la société civile. Jean-Christophe Fromantin n'est pas le seul à avoir senti venir le "dégagisme", le besoin de renouvellement de la classe politique. Chez La République en marche! (LREM), par exemple, le quota de personnalités issues de la société civile promis a été respecté : la moitié des candidats n'ont jamais eu quelque mandat électif que ce soit.
Au sein du mouvement de Jean-Luc Mélenchon, la France Insoumise (FI), près des deux-tiers des candidats aux législatives ne viennent pas du sérail politique. L'un est vigneron, l'autre chauffeur routier, une autre comédienne. "On n'a pas cherché à avoir plus de gens de la société civile", explique Bastien Lachaud, directeur de campagne des législatives de la FI et candidat en Seine-Saint-Denis. "Ce sont simplement des candidats à l'image du mouvement que nous construisons, qui rassemble plus de 500.000 personnes de tous horizons." Lui-même est un ancien professeur d'histoire-géographie qui s'est mis en disponibilité il y a deux ans pour s'engager auprès de Jean-Luc Mélenchon.
" J'utilise à fond les réseaux sociaux. Twitter, c'est très utile pour se faire connaître de la presse locale. "
Déficit de notoriété. Pour ces femmes et ces hommes qui ne se sont jamais frottés au suffrage universel, la grande première n'est pas de tout repos. Il y a d'abord, forcément, un déficit de notoriété. "Je pars de zéro", témoigne Pascal Tebibel, candidat dans le Loiret pour les "577 indépendants" de Fromantin. "Alors j'utilise à fond les réseaux sociaux. Twitter, c'est très utile pour se faire connaître de la presse locale." Au fil des semaines, ce directeur au sein d'un groupe de BTP a commencé à recevoir des coups de fils, des propositions d'interviews. Indispensable pour combler le retard, dans sa circonscription, face à Serge Grouard, le député LR sortant qui se représente… pour la quatrième fois.
Fournir les affiches et les tracts. Les mouvements et les partis sur lesquels s'adossent les candidats tentent de faciliter la tâche de leurs poulains au maximum. D'abord en leur fournissant du matériel. Pour les affiches et les tracts, LREM, la France Insoumise ou encore l'UPR, le parti de François Asselineau, mettent à disposition au moins une charte graphique. Ne reste plus aux candidats qu'à décliner localement des outils nationaux. "On est en train de finaliser un tract de comparaison entre le programme d'Emmanuel Macron et celui de l'Avenir en commun", détaille Bastien Lachaud de la France Insoumise. Du côté de l'UPR, les candidats investis –qui sont tous issus de la société civile puisque le parti n'a pas d'élus–, ont pu réaliser leurs photos officielles pour les tracts et les affiches en marge des meetings de François Asselineau, grâce à un bénévole bien équipé.
Séances de formation en live. Mais le matériel ne suffit pas. Les partis en sont bien conscients : on ne s'improvise pas candidat. Du côté de la France Insoumise, "on a organisé des séances de formation en live sur nos réseaux sociaux, ce qui permettait un échange sous forme de questions/réponses", explique Bastien Lachaud. Les candidats ont pu tout savoir sur ce qu'impliquait la fonction de député, mais aussi les aspects règlementaires d'une campagne, notamment en matière de financement. Antoine Goblet, conseiller en prévention des risques professionnels dans la fonction publique territoriale et candidat pour l'UPR à seulement 28 ans, se souvient lui aussi avoir participé à des ateliers lors des dernières universités d'été du parti.
Des hotlines ouvertes pour répondre aux candidats. Formation accélérée, aussi, pour quelque 350 candidats LREM le 13 mai dernier. Depuis, le parti ne lâche pas ses ouailles. Une brochure avec de "premiers conseils de campagne" leur a été envoyée pour leur parler constitution d'équipe, budget et stratégie. Une "suggestion d'agenda de campagne" a également été fournie. Il s'agit d'"un prévisionnel des trois semaines de campagne, en disant quoi faire la première, la deuxième", explique à l'AFP Catherine Barbaroux, présidente par intérim du mouvement fondé par Emmanuel Macron. Tous les partis, tous les mouvements ont ouvert une hotline pour répondre à tout moment aux questions des néophytes de la politique. Et c'est apprécié sur le terrain. "Il y a toute une équipe mobilisée pour accompagner les candidats, très disponible", se félicite Mickaël Nogal, candidat LREM dans la quatrième circonscription de Haute-Garonne.
LREM facilite les emprunts. Le jeune homme de 26 ans, travailleur indépendant dans la communication, passé par le privé et le public, a un peu d'avance sur d'autres candidats issus de la société civile. Ancien militant PS, il a l'habitude des campagnes, ayant notamment participé à celles de Christophe Borgel ou Monique Iborra au niveau local. "Je ne découvre pas, mais cette fois, c'est quand même différent. C'est moi qui engage ma propre personne auprès de la population, moi qui engage mes propres financements." Mickaël Nogal a en effet décidé de souscrire un emprunt. Fort de son expérience, il s'en est occupé seul. Pour les autres, LREM a conclu, selon l'AFP, un accord avec le Crédit coopératif pour faciliter les prêts.
En quête de dons.L'argent, c'est le nerf de la guerre. La France Insoumise a lancé une "grande campagne de souscription nationale" pour couvrir certains frais comme l'impression des bulletins, mais mise entièrement sur "la capacité des candidats à emprunter", précise Bastien Lachaud. Ce n'est, selon lui, pas indispensable. "Ils peuvent se contenter du matériel officiel."
Chez les 577 indépendants, il fallait obtenir 4.000 euros de promesses de dons, en plus de 100 soutiens locaux, pour pouvoir ne serait-ce que voir sa candidature validée. "Le but, c'était que chaque candidat ait la légitimité d'avoir réussi sur son territoire", justifie Jean-Christophe Fromantin. "Nos candidats étaient déjà en politique dans le sens où ils s'engageaient déjà pour leur territoire." Depuis, la quête de fonds ne s'est pas arrêtée. Sur la petite dizaine de personnes qui constituent l'équipe de Pascal Tebibel, le candidat dans le Loiret, une "va se consacrer exclusivement à lever des dons". Environ 2.000 euros sont déjà rentrés. "Il faut aller le plus loin possible pour couvrir les frais incompressibles, comme l'affichage", martèle le candidat indépendant, qui avait par ailleurs "mis un peu de côté" en prévision d'une campagne qui, quoi qu'il en soit, sera "low-cost".
Congés, garde d'enfant : le problème, c'est le temps. Antoine Goblet, le candidat de l'UPR, ne compte pas débourser un centime. "Le parti prend tout en charge", explique-t-il. Et, bien sûr, pas question d'organiser de gros événements qui viendraient grever un budget inexistant. "Je m'engage un maximum sur le terrain en tractant, en allant sur les marchés, en faisant les sorties d'usine." Le jeune homme a prévu de prendre quelques jours de congés pour se consacrer à sa campagne.
Car plus difficile encore à trouver que l'argent, il y a le temps. Quand on exerce un "vrai métier", comme aiment le rappeler les candidats issus de la société civile, faire campagne est particulièrement compliqué. Pascal Tebibel, qui travaille dans le BTP, a la chance d'être au sein d'une "entreprise qui a un regard favorable sur l'engagement dans la vie publique. J'aménage mon emploi du temps, je fais du télé-travail. Et dans la dernière ligne droite, il n'y a pas de secret : je poserai des congés pour m'y consacrer à plein temps". Florence Gabay elle, a une relative mainmise sur son emploi du temps à l'Institut Robert Schuman. Mais la trentenaire ne peut que se féliciter d'avoir sa mère à proximité pour garder son fils de 19 mois. Et de l'invention du shampoing sec, "parce que même se laver les cheveux, on n'a plus toujours le temps".
" Je veux juste me mettre au service des gens. Je ne sais pas pour combien de temps, mais ce qui est certain, c'est que ce sera une parenthèse. "
"Un printemps politique". Aucun sacrifices personnels, et pourtant il y en a beaucoup, ne semblent entamer la motivation de ces aspirants à la députation. Tous sont, d'abord, galvanisés par l'idée que leur candidature porte un nouveau coup à la vieille politique qu'ils abhorrent. "Je suis un instinctif", avance Pascal Tebibel. "Je sens qu'il y a quelque chose, que c'est gagnable. Je pense qu'il y aura un printemps politique." "Évidemment, c'est compliqué. C'est David contre Goliath. Mais si nous, on ne s'engage pas, comment les idées de l'UPR vont-elles se développer ?" avance Antoine Goblet.
"Il y a eu des moments, très brefs, où j'ai pensé à laisser tomber", admet Florence Gabay. "Et puis je regarde mon fils et je me dis que je veux faire quelque chose. Il faut aller au créneau, ne pas avoir peur de se faire insulter sur les marchés." Mickaël Nogal a pour lui la victoire de son candidat, Emmanuel Macron, et "la dynamique" qu'il ressent sur le terrain. "Je me dis que je vais pouvoir être utile", avance-t-il. Avant de résumer ce qui revient inlassablement dans la bouche de tous ces candidats pourtant très différents : "Quoi qu'il en soit, je n'attends rien de la politique, je veux juste me mettre au service des gens. Je ne sais pas pour combien de temps, mais ce qui est certain, c'est que ce sera une parenthèse."