Caméras piétons pour les forces de l'ordre : où en est-on ?

La caméra piéton se fixe sur la poitrine des forces de l'ordre.
La caméra piéton se fixe sur la poitrine des forces de l'ordre. © DENIS CHARLET / AFP
  • Copié
, modifié à
Plusieurs décrets adoptés fin décembre étendent l'expérimentation de ces caméras filmant les interventions à la police municipale et aux agents de sûreté de la SNCF et la RATP. À terme, le gouvernement entend généraliser le dispositif.

Ce sont de petits boîtiers de la taille d'un paquet de cigarette, surmontés d'un objectif et accrochés au niveau de la poitrine. Les caméras piétons, ou caméras mobiles, allumées par les forces de l'ordre lors des interventions jugées "sensibles", sont expérimentées par les policiers et gendarmes depuis 2012. Trois ans plus tard, en octobre 2015, le Premier ministre Manuel Valls annonçait leur généralisation en cinq ans, afin de "jouer un rôle dissuasif dans la montée des tensions et aider à prévenir le passage à l'acte violent". Trois décrets publiés à la fin du mois de décembre semblent aller dans le sens de cette extension du système, précisant les "modalités d'emploi" de ces caméras pour les forces de l'ordre et étendant l'expérimentation, notamment aux policiers municipaux.

  • Quels sont les agents équipés ?

Les caméras piétons sont utilisées par les forces de l'ordre à titre expérimental, dans plusieurs zones de sécurité prioritaires. D'après Le Monde, environ 1.000 caméras individuelles sont actuellement testées par des policiers, et 600 par des gendarmes. "On espère passer vite à l'étape de la généralisation", explique à Europe1.fr Philippe Lavenu, secrétaire national Île-de-France du syndicat Alliance Police Nationale.

Deux des décrets de décembre autorisent l'élargissement de ce dispositif. Le premier prévoit une expérimentation au sein de la police municipale, jusqu'en juin 2018. Mais selon Jean-Marc Jofre, président du syndicat national des policiers municipaux (SNPM), "certaines communes ont déjà fait acter la mise en place de ces caméras entre le vote de la loi (le 3 juin 2016, ndlr) et le décret, lors de conventions de coordinations". Le déploiement à venir "concerne surtout les grandes villes, et certaines brigades des villes moyennes", poursuit-il. "Dans les communes où il y a moins de cinq agents, on ne va pas mettre une caméra sur le torse d'un policier qui surveille la sortie de l'école.

Le deuxième décret acte, lui, l'usage des caméras - à titre expérimental, toujours - "par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens" (RATP), pour une durée de trois ans.

  • Quelles règles encadrent ce dispositif ?

Concernant les gendarmes et les policiers, nationaux et municipaux, les conditions d'utilisation des caméras piétons sont définies par l'article L241-1 du Code de la sécurité intérieure. Ce dernier dispose que les agents peuvent déclencher l'équipement "en tous lieux", "lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident", après avoir prévenu les personnes filmées. Tout enregistrement permanent est donc exclu. Une fois filmées, les images ne peuvent être consultées qu'à l'issue de l'intervention et "après leur transfert sur un support informatique sécurisé". Sauf utilité pour une quelconque procédure, elles sont effacées "automatiquement" au bout de six mois. Définies par l'article L2251-4-1 du Code des transports, les règles encadrant le dispositif pour les agents de la SNCF et de la RATP sont les mêmes.

Dans les faits, "les informations fournies aux agents avant qu'ils ne se servent des caméras sont très succinctes : le policier informe l'individu qu'il commence à le filmer, et il appuie sur le bouton", selon Jean-Marc Jofre. "L'équipement est en effet protégé par un code d'accès, qui empêche les personnes qui n'y sont pas habilitées de les utiliser, ou d'en extraire les images", ajoute Alain Dal, délégué du syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM).

  • Comment est-il accueilli par ses utilisateurs ?

"Ça va dans le bon sens", estime Jean-Marc Jofre. "Les policiers sont parfois filmés par les contrevenants : maintenant, il y aura des images des deux côtés." Selon le représentant, les communes déjà équipées ont constaté une "baisse de l'agressivité" lors des interventions filmées. Une dissuasion confirmée par la direction générale de la police nationale, qui a salué, dans les zones-test, "leur effet modérateur, unanimement constaté par les fonctionnaires".

Autre motif de satisfaction : la possibilité d'utiliser ces images en cas de litige, devant la justice. "Dans le feu de l'action, tout le monde ne voit pas forcément la même chose", explique Alain Dal. "Avec la caméra, l'image est fixée, personne ne peut la contester". Philippe Lavenu renchérit, exemple à l'appui : "Une personne conteste son interpellation après un simple contrôle routier. Avec le son et la vidéo, on peut prouver qu'elle avait insulté un agent et retrouver les circonstances." Depuis le début de l'expérimentation, les images filmées par les caméras piétons ont déjà été utilisées par la justice à plusieurs reprises.

  • Pourquoi ces caméras sont-elles critiquées ?

Depuis la publication des décrets, le gouvernement est dans le collimateur de la Commission nationale de l'informatique des libertés (CNIL). En 2015, l'organisme avait estimé qu'un encadrement législatif spécifique des caméras piétons était nécessaire, et obtenu gain de cause. Mais avant la rédaction des décrets d'application de la loi, la Commission a de nouveau été saisie pour trois avis, rendus le 8 décembre et dont une partie des recommandations n'ont pas été suivies.

La CNIL réclamait notamment un droit d'accès aux images pour les personnes filmées lors des interventions. Ce droit est prévu pour le dispositif mis en oeuvre par la SNCF et la RATP, mais pas pour celui des forces de l'ordre. Dans le cas de vidéos réalisées par des policiers ou des gendarmes, il s'exercera donc de manière indirecte, via une saisine d'un magistrat de la CNIL. "Au vu de la durée de conservation des données [...] et du fait que les traitements ne sont pas centralisés, l'effectivité réelle du droit d'accès indirect aux images ne pourra être garantie pour les personnes concernées", estime l'organisme.

Autre reproche de la Commission : l'absence de garde-fous concernant les cas dans lesquels l'enregistrement est possible. Le risque d'"incident" tel qu'il est formulé dans les décrets est jugé trop flou, tout comme l'expression "en tous lieux", qui ne différencie pas l'espace public des domiciles privés. La CNIL a estimé que "des règles spécifiques devraient être prévues de manière à limiter toute atteinte à la vie privée des personnes concernées". Une observation restée lettre morte.