L’adoption pour tous, corollaire du mariage pour tous légalisé en avril 2013, semble avoir du mal à entrer dans les mœurs. Du moins en Seine-Maritime, où les couples homosexuels doivent soit prendre leur mal en patience, soit s’attendre à recueillir un enfant qui connaît des difficultés. C’est du moins la position de Pascale Lemare, responsable du service adoption au conseil départemental, passage obligé pour les couples souhaitant adopter. Celle-ci a expliqué sa position lundi à France Bleu, par des propos qui n’ont pas manqué de créer la polémique.
- Qu’a dit Pascale Lemare ?
Interrogée sur le fait que des couples homosexuels avaient du mal à adopter, la responsable du service adoption de Seine-Maritime a eu au moins le mérite de la franchise. "Eux-mêmes sont un peu atypiques par rapport à la norme sociale mais aussi la norme biologique [donc il faut que] leur projet supporte des profils d'enfants atypiques, un enfant dont personne ne veut", a-t-elle lâché au micro de France Bleu. "Il y a des gens qui ne veulent pas adopter des enfants trop cassés, trop perturbés psychologiquement, trop grands, handicapés… Ces enfants-là ils ont des perturbations qui ne sont pas recherchées et c’est normal, par les couples", a-t-elle poursuivi.
Et c’est donc tout naturellement, selon elle, que les couples homosexuels ont le bon profil pour recueillir ces enfants. "Si les couples homosexuels ont un profil, des attentes, ouvertes, ils peuvent très bien adopter un enfant", explique-t-elle, tout en rappelant la philosophie générale : "Ils ne seront pas prioritaires, mais ils ne sont pas exclus de l’adoption."
- Le président de Seine-Maritime et le gouvernement condamnent
Le président centriste du département a réagi par communiqué, affirmant "qu'en aucun cas, l'orientation sexuelle des futurs parents n'est un critère d'évaluation" du service. Pascal Martin a aussi réagi via Twitter. "Je condamne fermement les propos de madame Lemare qui ne reflètent en rien la position du Département et mes convictions personnelles", a-t-il écrit. "Il n’y a aucune différence à faire entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Tous ont les mêmes droits."
Je condamne fermement les propos de madame Lemare qui ne reflètent en rien la position du Département et mes convictions personnelles. Il n’y a aucune différence à faire entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Tous ont les même droits.
— Pascal MARTIN (@Pasc_Martin) 18 juin 2018
Même biais pour Olivier Dussopt. "Si les propos sont vérifiés, ils sont contraires aux principes de neutralité, d’égalité et de refus des discriminations qui caractérisent la Fonction publique", écrit sur Twitter le secrétaire d’Etat à la Fonction publique. "Je les condamne et prends acte de leur condamnation par le président de Seine-Maritime."
Si les propos sont vérifiés, ils sont contraires aux principes de neutralité, d’égalité et de refus des discriminations qui caractérisent la #FonctionPublique. Je les condamne et prends acte de leur condamnation par le président de @seinemaritime https://t.co/wolrY2YZaC
— Olivier Dussopt (@olivierdussopt) 18 juin 2018
"Les enfants sont égaux. Et toutes les familles aussi", a réagi le Défenseur des droits Jacques Toubon sur Twitter, en annonçant se saisir d'office "afin d'enquêter sur les pratiques du service de l'adoption du département de la Seine-Maritime".
- Une sanction à venir ?
Au vu de ces réactions, la position de Pascale Lemare semble fragilisée. L’Association des familles homoparentales (ADFH) en en tout cas réclamé, via Twitter toujours, son départ. "L’homophobie comme l'handiphobie ne sont pas des opinions mais des délits. Madame Lemare ne peut plus assurer la responsabilité du service adoption de Seine-Maritime", écrit l’ADFH.
L'homophobie comme l'handiphobie ne sont pas des opinions mais des délits. Madame Lemare ne peut plus assurer la responsabilité du service adoption de @seinemaritime . Ecoutez l'ITW. Condamner c'est bien, agir c'est mieux. @Prefet76https://t.co/Vndx4PnbPm
— ADFH (@homoparentalite) 19 juin 2018
"Nous avons porté plainte auprès du procureur de la République de Rouen. Nous sommes extrêmement choqués par ces déclarations", a déclaré Alexandre Urwicz, président de l'association. "Nous sommes scandalisés. On avait déjà entendu des choses à propos de la politique d'adoption du département mais cela restait du domaine de la rumeur", a réagi de son côté Géraldine Chambon, membre du centre LGBTI de Normandie, "Nous sommes en phase de réflexion quant au déclenchement d'une action en justice".
Selon France Info, le directeur général des services a rencontré lundi Pascale Lemare. Il doit aussi se rapprocher du Conseil de famille, l’organe départemental qui sélectionne les dossiers d’adoption pour chaque enfant. Avant de parler de sanction, le conseil départemental a indiqué que son président attendait, pour en décider, le résultat d'un audit externe pour voir s'il existait un dysfonctionnement à l'intérieur du service.
- Un précédent en Meurthe-et-Moselle
Cette affaire en rappelle une autre. Au début du mois de mai, l'Association des familles homoparentales avait annoncé une plainte à l’encontre du président du Conseil de famille de Meurthe-et-Moselle. "(Il) a déclaré qu'il privilégiait les familles hétérosexuelles aux couples de futurs parents de même sexe. On a déposé plainte, on sait que le procureur a demandé à ce que la personne soit entendue par la police de Nancy", a expliqué Alexandre Urwicz, le président de l’AFDH.
Le département, passage obligé pour les familles voulant adopter
En France, c’est le département qui est chargé d’accorder ou de refuser l’agrément pour un couple ou une personne seule en vue d’une adoption. Les postulants doivent rencontrer à plusieurs reprises des psychologues et des membres du service d’adoption du conseil départemental de son lieu d’habitation. C’est ensuite le Conseil de famille du département (composé de conseillers départementaux mais aussi de personnes extérieures) qui choisit la famille dans laquelle un enfant pourra être adopté.