Trois pistes pour repenser la maternelle

Les projets du ministre de l'Éducation nationale devraient commencer à être dévoilés lors de ces Assises,qui se tiendront mardi et mercredi. 1:51
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Thibauld Mathieu , modifié à
Alors que se tiennent mardi et mercredi des "assises de la maternelle", le ministre de l'Éducation veut "repenser" l'enseignement aux plus petits. Certains experts ont déjà soulevé des pistes.

Après le bac, la voie professionnelle ou encore les classes de CP dédoublées dans les zones défavorisées, le ministre de l'Éducation s'attaque à un nouveau chantier : l'école maternelle,  dont les "assises" se tiennent mardi et mercredi à Paris. Jean-Michel Blanquer le reconnaît lui-même : les enjeux sont "immenses". "La maternelle est une locomotive pédagogique pour l’ensemble de notre système scolaire", appuyait-il notamment en janvier, dans les colonnes de Ouest-France. Aiguillé par l'expertise du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le ministre veut notamment en faire "l'école de l'épanouissement et du langage". Tout un programme. Plusieurs pistes ont cependant déjà été évoquées, par des spécialistes de la petite enfance, comme par Jean-Michel Blanquer en personne.

  • Plus de musique

L’école maternelle est d'abord le lieu où se mettent en place les compétences communicationnelles des élèves. "Des activités quotidiennes comme la lecture de contes à haute voix, en classe, ou la musique, jouent un rôle fondamental dans l’épanouissement de l’enfant, dans son bonheur d’être à l’école, mais également dans l’acquisition du vocabulaire, au travers des chansons et des comptines", expliquait Jean-Michel Blanquer en janvier dernier. "Les arts, le jeu, la créativité sont de bons stimulants. Les travaux du neurologue Pierre Lemarquis montrent, par exemple, que les enfants qui apprennent la musique maîtrisent mieux leurs émotions, accèdent les premiers à la parole, se sociabilisent et progressent plus vite", étayait Boris Cyrulnik dimanche dans le JDD. "Les contes mimés, le théâtre, les puzzles peuvent aussi conduire les élèves à réaliser de vraies performances intellectuelles". 

Professeur agrégé en éducation musicale au Canada, Jonathan Bolduc ne dit pas le contraire. Dans l'un de ses travaux de recherche, intitulé "Musique et habiletés cognitives au préscolaire", il souligne notamment que "sur le plan langagier, la musique favorise le développement de composantes bénéfiques à la conscience phonologique et à la reconnaissance de mots". La musique améliorerait donc les capacités à comprendre, à s'exprimer, mais aussi à lire. Voire à compter. Des études menées sur des enfants âgés de 3 à 12 ans montrent qu’il existe "un lien constant entre l’apprentissage musical et l’habileté à effectuer des opérations mentales complexes, telles que la reconstruction de structures en deux ou trois dimensions sans pouvoir se référer à un modèle physique".

Mardi, Emmanuel Macron se rendra d'ailleurs dans une école du 19ème arrondissement de Paris, où il se fera présenter une activité de phonologie (étude des sons de la langue) dans une classe de moyenne section avant d'échanger avec des enseignants, des parents et des agents territoriaux spécialisés. Cette école s'appuie sur l'apprentissage du vocabulaire par la musique et les arts visuels, en partenariat avec la Philharmonie de Paris voisine, a expliqué l'Élysée.

  • Plus de sécurité affective

C'est là encore une piste évoquée par le duo Blanquer-Cyrulnik. Le neuropsychiatre prône l’apprentissage par les enseignants et autres intervenants en maternelle - notamment les fameux ATSEM (agents territoriaux spécialisés) - de la "théorie de l’attachement". Pilier de l'éducation bienveillante, ce concept, particulièrement appliqué en Europe du Nord et au Canada, vise à "sécuriser l'enfant" par son langage, son attitude. Il permet aussi de repérer des indices d'anxiété. "L’expérience montre que les enfants ne s’attachent pas forcément à celui qui a le plus de diplômes, mais à celui qui établit les meilleures interactions avec lui", détaille ainsi Boris Cyrulnik, toujours dans Ouest-France.

"Je pense que c'est quelque chose qui manque aujourd'hui", juge à ce propos Marie Danet, psychologue clinicienne, qui a fait de l'impact de l'attachement dans les apprentissages scolaires l'une de ses spécialités. "Les programmes font que les enseignants ont moins de disponibilité pour les plus petits. Mais les bienfaits de l'attachement sont réels. L'enfant, s'il est mis en confiance, va par exemple oser poser plus de questions lorsqu'il n'y arrive pas", éclaire-t-elle auprès d'Europe1.fr. Pour l'enseignant, cela peut notamment passer par des jeux, lors desquels les jeunes écoliers peuvent être invités à s'exprimer en parlant de leurs émotions.

  • Un cycle plus long ?

Réunir les enfants de 1 à 6 ans en un même cursus préscolaire. C'est la préconisation du laboratoire d'idées France Stratégie, dans son rapport "Un nouvel âge pour l’école maternelle", publié le 15 mars. Cela se fait déjà dans les pays nordiques, ainsi qu'au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie. À tel point que la France apparaît presque isolée sur ce point. Pour les auteurs du rapport, cette intégration améliorerait, pour la tranche des moins de 3 ans, "l’équité d’accès et renforcerait la dimension éducative".

"Une telle évolution permettrait de lutter de manière plus précoce contre les inégalités de développement du langage, déjà très marquées à l’entrée à l’école maternelle", est-il encore écrit. Cela nécessiterait cependant de refondre tout le système de prise en charge de la petite enfance.

 

D'autres pistes, pour aller plus loin que les programmes

La maternelle est devenue en 2015 un cycle à part entière, avec des programmes dédiés. Bien accueillis par les syndicats d'enseignants, ils insistent déjà sur le langage, la socialisation et le jeu. "Certes, mais les professeurs des écoles se méfient des affects. Ils ont un très bon niveau universitaire, mais pas les connaissances pratiques. Beaucoup débutent sans jamais avoir tenu un bébé dans les bras. La formation sera donc un thème central des Assises", répond Boris Cyrulnik dans un entretien au JDD. Parmi les autres pistes évoquées par le spécialiste de la petite enfance, l'enseignement d'une deuxième langue en maternelle et l'interdiction des ordinateurs et tablettes jusqu'à 6 ans sont aussi avancées. "J'espère que le ministre de l'Éducation décidera d'augmenter les postes", plaide-t-il encore, alors que les maternelles françaises comptent en moyenne un enseignant pour 22 élèves, soit un taux bien inférieur aux moyennes de l'Union européenne (1pour 13). "L’idéal serait de dédoubler les classes de maternelle", conclut Boris Cyrulnik.